Contents
- 1 Introduction
- 2 LE TEMPS DES CRISES
- 3 LA NUIT DES LONGS COUTEAUX
- 4 LA METAMORPHOSE
- 5 L’AVENTURE SOLITAIRE
- 6 LA QUÊTE DE PURETE
- 7 HEILIGE !
- 8 L’AMI AMERICAIN
- 9 LES MASQUES
Introduction
L’histoire de Death in June est en fin de compte celle d’un seul homme et de sa vie, Douglas Pearce, avec l’exploration de ses expériences, ses sentiments, ses intérêts, ses obsessions, ses rêves, sa sexualité… en fait, son entière existence, canalisée, et projetée à travers son propre véhicule d’expression, Death in June. Douglas P est Death in June.
C’est un voyage qui commença avec le groupe punk de la fin des années 70, gauche, émulation prêchant un programme d’extrême gauche qui, ironiquement, s’est rapidement transformé en “l’investigation du fascisme”, dont s’est ouvertement déclaré la première incarnation de gauche in June. Et bien sur il ne faut pas oublier leur fétichisme de l’uniforme qu’ils venaient d’acquérir publiquement.
Avec le renvoi de Tony Wakeford vint la seconde et la plus électronique des incarnations de cette formation mouvante. Le changement majeur d’accentuation dans les paroles réfléchit l’amitié grandissante entre Douglas P et David Tibet, qui a depuis collaboré à tous les projets majeurs de DIJ. L’album “Nada!” amena avec lui les premières traces de misanthropie, qui devinrent courantes dans tous les futurs enregistrements de Death in June.
En 1985, avec le départ de Patrick Leagas, Douglas P décida de persévérer seul, appelant des amis quand il en a besoin. Cette décision retira le meilleur du concept Death in June dans ses premières sorties “solo”. Ce sont les albums “The world that summer” et “Brown book”, probablement les meilleurs, indéniablement les plus beaux et les plus tristes de tous. Profondément marqués par les révélations et l’inspiration que Douglas P découvrit dans les pages de Mishima et Genet, ces albums furent aussi influencés dans une certaine mesure par son premier contact avec les runes et la magie. Son association avec Boyd Rice conduisit à l’inclusion de quelques assauts cauchemardesques et post-industriels sur l’album suivant, “The wall of sacrifice”, une affaire très sombre, déprimante et pleine de colère, montrant Douglas P dans les profondeurs de l’abattement.Comme s’il avait abandonné le combat et se noyait dans le néant.
Cette association culmina dans l’album “Music Martinis & Misanthropy”, rempli de préjugés incomparables et de haine envers l’humanité. C’est un charmant cadeau pour quelqu’un que vous aimez vraiment! Après une kyrielle d’albums lives semi-officiels, de rééditions, de compilations, “But what ends…” contient les premiers nouveaux travaux depuis quatre ans, et continue de développer les thèmes précédents. Ce voyage s’est-il terminé avec cette sortie?
Un seul homme peut y répondre. De toutes façons, Douglas P laisse derrière lui une marque et un message au monde que peu de gens d’aujourd’hui pourraient envier. Des souvenirs de lui et de sa musique vivront dans nos coeurs et nos rêves pour toujours. Mais sommes nous ses disciples? Exorcisons nous de vieux démons? Commençons nous une nouvelle voie, une nouvelle vie aujourd’hui? Mais quel est son évangile où nous pouvons chercher des éclaircissements? Le message, s’il y en a un, et son sens sont bien cachés sous des paroles peu claires et complexes. Ce malentendu, comme les symboles qu’utilise DIJ, a résulté en stigmates lancés par des personnes qui ne connaissent pas le sujet. Mais doivent-ils ou devons nous nous préoccuper de cela? Car au travers de ses paroles, nous capturons Douglas P dans ses moments de désespoir, d’espoir, de tristesse d’amour qui nous captivent, nous embrassent et nous nous abandonnons, devenant une seule et même personne. Pourtant, tirons nous de la force de ce partage? Nous gagnons un aperçu de son monde et c’est de la façon dont vous interprétez et appliquez ce que vous avez trouvé que vient peut être cette force, cette vérité, à propos d’une vie de douleur. Mais nous restons toujours avec la prise de conscience finale que “c’est le mieux qu’il adviendra”.
Maintenant, Douglas P continue de se battre pour trouver la joie qui se cache dans cette vie. C’est toujours son seul but, qu’il poursuit à travers l’amour et la mort. Comme le Christ, si quelque homme a tant souffert pour les autres, Douglas P l’a fait! Nous l’aimons, nous l’honorons, nous le martyrisons, et je ne peux honnêtement dire qu’une autre personne a eu un tel impact dramatique sur ma vie comme Douglas P l’a eu.
Voici Death in June, les portes du paradis ou de l’enfer?
A vous de décider
Robert, Little Chalfont, 1994
LE TEMPS DES CRISES
« Si les aventures rapportées dans ce ouvrage ont un fond de vérité, elles n’ont pu arriver que dans d’autres lieux ou d’autres temps ; et nous blâmons beaucoup l’auteur qui, séduit apparemment par l’espoir d’intéresser davantage en se rapprochant plus de son siècle et de son pays, a osé faire paraître sous notre costume et avec nos usages, des mœurs qui nous sont si étrangères. » Pierre Choderlos de Lados
Il est aujourd’hui difficile de se rendre compte du bouillonnement qui régnait sur la scène musicale britannique à partir de 1976. Pour la première fois, les jeunes anglais pouvaient braver les règles corporatistes de la musique rock. Les groupes du début des années 70 tels que Yes ou Genesis donnaient l’impression d’être le refuge de musiciens classiques, incapables de postuler à une place dans un orchestre mais suffisamment maîtres de leurs instruments pour ébahir l’ingénu. Bien évidemment, ceux qui ne pouvaient ponctuer leurs morceaux de soli passablement intempestifs se voyaient voués aux gémonies.
Comme lors de toutes les périodes de tyrannie, la rébellion couvait. A l’instar de groupes américains tels que Ihe Stooges ou MC5, lc son du nouveau rnouvcment serait électrique et sale, loin des arrangements pompeux du rock progressif. Il lui fallait également un fer de lance. Malcolm MacLaren, arriviste notoire, le lui donna : The Sex Pistols. Sous leur impulsion, le rock revenait à son essence, une musique obscène, sexuelle, permissive…
Le succès de ce que l’on appela le punk-rock tint aussi dans le fait qu’il reprcsentait plus qu’un genre musical, il était devenu un style de vie, un mouvement politique où le cheveu court et négligé répondait aux longues crinières broussailleuses, ou toute liberté créatrice était donnée a ceux qui désiraient la saisir, aussi bien dans la musique que dans d’autres formes d’expression. C’est toutefois au niveau musical que la révolution laissa le plus de traces. L’édosion de nouveaux groupes se multipliaient dans les iles brittaniques, amenant chaque jour son lot d’amateurs plus ou moins édairés.
“Quand j’ai quitté l’école à l’âge de 16 ans, une des premières choses que je me sois acheté avec le salaire de mon premier job fut une guitare bon marché. J’ai commencé à perdre mon temps avec ça. C’était pratiquement un combat – et cela le reste ! Après avoir appris l’essentiel, j’ai commencé à écrire mes propres chansons. J’ai rencontré Tony pour la première fois vers 1975 dans divers meetings politiques et manifestations d’extrême-gauche. Nous étions membre de deux partis trotskyistes différents. Fin 76/début 77, il me téléphona et me demanda si j’avais entendu parler du punk rock et si je voulais fonder un groupe. Je répondis “oui” aux deux questions et tout est parti de là” Douglas Pearce
Né le 27 avril 1956. Doug Pearce attendit d’avoir passé la vingtaine pour se lancer activement dans la musique. En compagnie de Tony Wakeford, alors surnomméTone Deaf, il fut impressionné par un concert de The Dash à Guildford et mit sur pied trans sa ville de Woking son propre groupe punk : Crisis. La formation accueillit un jeune chanteur de dix-huit ans appelé Phrazer, Lester Jones à la guitare et The Deaner (également connu sous le nom de Insect Robin) à la batterie. Quand a Pearce, il s’occupait de la guitare rythmique et Wakeford jouait de la basse.
La première prestation eut lieu au début de 1977 dans une ville proche de Woking, à Guildford plus précisément, dans le cadre du Rock Against Racism, avec d’autres groupes qui ont laisse peu de souvenirs à la postérité : Absolute, Youth et Stiff Upper Lip. La réaction des 300 spectateurs fut excellente : le public rédama trois rappels. Pourtant la formation n’était pas exactement au point, le guitariste n’ayant rejoint Crisis que depuis deux semaines et le chanteur depuis trois ou quatre.
La Grande-Bretagne de la fin des années soixante-dix était le théâtre d’affrontements réguliers entre les mouvements d’extrême-gauche et extrême-droite et en tant que membres du SWP (Parti des Travailleurs Socialistes) et du IMG (Groupe Marxiste InternationaD, Wakeford et Pearce furent confrontés à la violence qui entourait les manifestations. Pendant l’eté 77, à Lewisham, ils participèrent à un rassembement anti-nazi qui déboucha sur une véritable bataille rangée. “La pire violence à Londres depuis la Seconde Guerre Mondiale” se souvient Pearce.
“Ce jour là, les fascistes n’ont pas atteint leur objectif. Ils n’ont pas marché dans les quartiers noirs, ce qu’ils essayaient de faire. Ils n’ont pas tenu leur meeting, ils n’ont pas réussi à intimider les riverains noirs, et la police n’a pas réussi à protéger les nazis. Il y eut 300 blessés et plus de 200 arrestations, mais c’était une victoire parce qu’il y avait plus de 5000 personnes de notre côté” Douglas Pearce
Bien entendu, cet engagement politique se retrouvait dans les chansons de Crisis. Search & Destroy et PC 1.9.8.4. par exemple, écrites le Iendemain des combats de Lewisham.
- “Vous dites que vous êtes les héros
- Mais vous êtes des putains de zéros”
- Search & Destroy
Parmi les autres titre, on trouvait Militant ou SPG Des initiales de la troupe anti-émeute britannique). Un morceau intitulé With everyone I disagree se rapportait aux problèmes qu’entraînent des prises de posi-tions différentes de celle de la masse dans Ia vie quotidienne. Après avoir été facteur pendant deux ans, Pearce travaillait alors dans un bureau.
Au travail, il y a très peu de gens qui ont la même pensée que toi. Ils te collent l’étiquette de ‘salaud de coco’ ou de ‘connard de négrophile’ – comme c’est écrit sur les murs des toilettes où je travaille – mon nom en lettres capitales, ‘enculé de coco’, ‘démolissez le’, ‘tuez le’ et des trucs comme ça parce qu’il y a le National Front là où je travaille” Douglas Pearce
Et ce n’étaient fatalement pas les quelques concerts que Crisis donnait aux alentours de Londres, tous en soutien à une cause, qui pouvaient lui permettre d’abandonner sur le champs son job, qu’il quittera néanmoins bien vite
“ll semble qu’à chaque fois que nous jouons quelqu’un de la RAF se fait liquider, alors nous le dédions toujours à leur souvenir et nous expliquons au public les faux suicides. Cela se passe bien car les gens alplaudissent et comprennent, ils ressentent la même chose.” Douglas Pearce
S’ils n’ont pas écrit comme Cabaret Voltaire une chanson intitulée Baader-Meinhof, les membres de Crisis se sentaient toutefois proches de ta Fraction Armée Rouge allemande.
“Nous sommes très solidaires de la RAF. L’Allemagne est un endroit étonnant. Ils se présentent comme s’ils étaient libres et démocrates et tout ce genre de conneries mais ce n’est nulle part comme cela. Parce qu’il y a des lois là-bas qui devaient empêcher les nazis de travailler , mais en fait ils empêchent les gauchistes de travailler. Berufs Verbot – c’est la loi qui empêche les gauchistes de travailler. Ils scrutent vraiment tes tendance politiques. Les conseilleurs locaux, les businessmen locaux sont les mêmes que dans les années 30, ce sont des nazis reconnus et tout ça. C’est pourquoi la RAF et Baader-Meinhof se sont mis à la lutte armée, parce que rien n’a changé, les travailleurs sont décontractés et n’en ont rien à branler, ils ont tout accepté et ils travaillent dur et tout ça. Nous n’approuvons pas que des gens se fassent tirer dans la tête dans Ies avions, d’accord ? Mais nous n’approuvons pas non plus que les putains de gardiens les aident à se suicider! Comment ont-ils fait pour avoir des armes? Les gardiens les ont laissées derrière eux? C’est comme Ulrike Meinhof, ils n’ont pas dit que du sperme avait été retrouvé sur ses habits. Il est si facile de voir qu’elle a été violée avant d’être tuée. Je suis sur que tout le monde a été tué là-bas, il n’y avait pas de raisons pour qu’ils se suicident parce qu’ils savaient que leur camarades essayeraient encore” Douglas Pearce
Le couronnement de 1978 eut lieu aux studios de la BBC en novembre lorsque le quintet fut invité par John Peel pour y jouer quelques titres qui furent diffusés ultérieurement.
La première production vinylique fut le 45 tours No Town Hall (Southwark) en mars 79. Après avoir essayé plusieurs batteurs, un nouveau nommé Luke Rendall fut engagé. Sur la face B étaient enregistrés Holocaust et PC One Nine Eight Four.
Comme son titre l’indique, Holocaust est une chanson ayant pour thème le génocide de la deuxième guerre mondiale et la montée du néo-nazisme.
- “Vous devriez faire attention, ils tentent de revenir
- Souvenez vous de Belsen, souvenez-vous d’Auschwitz
- Ils essayent de dire qu’ils n’ont pas existé
- Ne les laissez pas enchaîner ce pays,
- Ne laissez pas six millions mourir en vain.”
- Holocaust
PC One Nine Eight Four et No Town Hall, les deux autres morceaux du EP, sont deux brûlots de la même veine. Le premier parle d’un agent de police Des initiales PC signifiant Police Constable) raciste et fasciste.
- “Il est dans la rue, PC un neuf huit quatre
- Et c’est les noirs qu’il recherche
- Ils n’ont pas entendu parler des relations raciales
- Au poste de police”
- PC One Nine Eight Four
Le second est une critique de la construction d’un hôtel de ville à Southwark.
- “A la radio chaque soir
- Les travailleurs avides font la grève
- Ils veulent seulement un peu plus le droit d’être fier
- Ils ne veulent pas 70 millions de livres”
- No Town Hall (Southwark)
Le Peckham Action Group nous a appelé et nous a demandé de faire une manifestation pour eux et leur campagne contre l’hotel de ville. Nous avons fait la manifestation, et une ou deux semaines plus tard ils ont encore appelé pour nous dire ‘nous pensons sortir un single’, alors j’ai dit ‘oh, sensass’!’ et je n’y ai plus beaucoup pensé jusqu’au jour où ils ont encore appelé et demandé si nous avions écrit quelque chose, alors j’ai dit non. Lester et moi avons décidé de téléphoner à Tony, car nous avons pensé qu’ils pouvaient être sérieux à propos du disque, et en cinq secondes il a écrit les chansons et nous étions d’accord.” Douglas Pearce
Ce 45 tours fut donc réalisé par Action Group Records, le label créé pour l’occasion par le Peckham Action Group. Les réactions de la presse face à ce disque ne furent pas nombreuses mais tout de même positives.
“ll irradie la colère pure – colère contre la bureaucratie, colère contre la police, colère contre les nazis, colère contre la société.” Mark Daplin, Zigzag
Lors d’un concert dans le cadre d’une conférence du SWP, Crisis fut remarqué par un norvégien qui organisa une tournée pendant l’été 79 dans son pays. lls jouèrent une vingtaine de dates en compagnie du groupe reggae Signus et de formations locales.
En août parut un deuxième single intitulé UK79 sur leur propre label, Ardkor Records. La formation avait perdu son chanteur, remplacé par Dexter qui avait participé aux choeurs lors de la Peel session du groupe. Du point de vue musical, l’évolution était inexistante par rapport au premier effort de Crisis. Le morceau principal tenait sur un accord de guitare joué en boude. Bien sûr, au vu du titre, on pouvait s’attendre à une critique de la société britannique en cette fin de décennie, et, effectivement, c’est ce que l’on obtient.
- “Tu ne trouveras jamais la liberté dans le métro
- Au Royaume Uni tout devient tendu
- Mais ils disent toujours que nous avons les droits de l’homme”
- UK79
Sur la face B, on découvre White Youth, une nouvelle attaque contre l’extrême-droite et ses séides, où Crisis fustige “les truands cultivés de la bourgeoisie”. La chanson se termine sur une note d’espoir surprenante de la part du groupe et, surtout de l’auteur du texte, Doug Pearce :
- “Nous sommes noirs, nous somme blancs
- Ensemble nous sommes de la dynamite”
- White Youth
“Les seules choses que Crisis ait en commun avec les avortons précités (UK Subs et Angelic Upstarts) sont les cheveux courts et les Doctor Martens. Leur point de départ contient les ingrédients de base du premier album de Clash – rock’n’roll, reggae et politique” Mark Daplin, Zigzag
La comparaison à The Clash est assez évidente mais reste approximative, car si Crisis fait du reggae alors comment appeler la musique de Bob Marley? De l’électro-acoustique? Du heavy-métal? The Clash était alors le groupe favori de Pearce, le suivant était Generation X, le groupe du péroxydé Billy Idol, mais Crisis avait surtout retiré le côté punk, et donc rock’n’roll, de la formation de Joe Strummer.
“Je n’ai eu que des rapports commerciaux avec Joe Strummer comme au Hope & Anchor, je lui ai payé un demi. Et ensuite il m’a vendu des cordes de guitare foutues. Je ne l’oublierais pas, il m’a arnaqué!” Douglas Pearce
Les membres de Crisis faisaient partie des plus ardents défenseurs du mouvement punk à une époque où il fallait absolument être engagé dans un style ou un autre, que ce soit punk, skinhead ou mod.
“Ce que je trouve bizarre c’est que tous les gens corrects disent ‘regardez-les, ils ont vraiment l’air dégoûtants!’ Tu ne voi pas les punks dire ‘vous avez l’air vraiment dégoûtants!’ Ils essayernt seulement des’amuser et de profiter de la vie.” Lester Jones
“Je pense que le punk est une attitude, pas la façon dont tu t’habilles” Luke Rendall
Pourtant dans les tout débuts du groupe, ils portaient tous des tenues qui ne laissaient pas supposer qu’ils soient autre chose que punks, Pearce s’était même décoloré les cheveux en rose.
Le mois suivant, septembre, vit la parution d’une compilation intitulée Labels Unlimited, sortie sur Cherry Red Records et qui comprenait un titre de Crisis, Holocaust, dans sa version originale.
Crisis continua à se produire le plus souvent possible. Ainsi, le 25 février 1980 ils jouèrent à Guildford au Wooden Bridge. Ils commencèrent leur performance par un titre qui restera inédit intitulé Garbage, puis enchainèrent des chansons de leurs singles et de l’album à venir lorsqu’un incident se produisit avant qu’ils n’entament Afraid. Une bagarre édata dans la salle, un type se fit tabasser par une vingtaine de personnes et Dexter dut intervenir pour faire cesser le massacre. Le concert put enfin reprendre.
“Vous n’êtes que des putains de trouillards! Nous allons recommencer cette chanson car elle est à propos de ce que vous êtes – effrayés. Nous ne rejouerons plus jamais à Guildford. Vous m’avez déçu bande de branleurs! Vous n’êtes que des trouillards. Vous n’êtes rien.” Dexter
Au fil des mois l’intérêt pour la politique et l’engagement pour certaines causes s’estompaient petit à petit, Crisis refusait désormais toutes participations aux spectades du Rock Against Racism
“Nous avons fait un concert à l’Acklam Hall et il y avait un groupe de reggae en première partie. Je suis d’accord pour que tous les groupes aient le même temps de balance mais quand le groupe de première partie a une heure et que vous, vous ayez dix minutes, il y a quelque chose qui ne va pas. RAR sont négrophiles et si tu es noir le soleil sort de ton cul. Personellement je déteste RAR” Douglas Pearce
Les deux singles avaient bien marché, le premier ayant été vendu à 3500 exemplaires et le second à 5000. Pourtant la situation n’était toujours pas rose pour les membres du quintet. Rendall et Pearce vivaient dans des squats différents à Brixton, pendant que les autres logeaient encore chez leurs parents à Woking. Il faut avouer qu’ils étaient tous au chomâge à part Dexter qui était électricien et Doug qui travaillait a mi-temps dans une station d’essence avant de devenir coursier pour quelques mois en 1980. De plus un contrat avec le label Step Forward venait d’échouer.
“Nous avons été en studio avec eux et ils étaient intéressés mais ils nous ontl jetés à cause de Ia politique. Des membre de Crisis ont en fait été dans des partis révolutionnaires, nous ne chantions pas seulement ‘uhhhhhh revolution’ et toute cette merde. Un dans le groupe est pacifiste, un est communiste, et moi et le batteur sommes socialistes” Tony Wakeford
Mais, d’après Nick Jones de Step Forward, le disque n’avait pu être réalisé en raison du manque d’argent de son label et non par peur du contenu des chansons du groupe.
En Mai 80, le double 45 tours prévu laissa la place à un mini-album, à nouveau sur Ardkor, comprenant sept titres : Hymns Of Faith. Si musicalement on ressent un effort au niveau des mélodies, le ton général est toujours fortement politique.
- “Allume la télé.
- Incline la tête.
- Tu dois être d’accord”
- On TV
Hymns Of Faith s’ouvre sur On TV, une critique acerbe de la télévision britannique. En vacances aux Etats-Unis, Pearce compara les chaînes américaines à celles de son pays natal :
“C’est bien mieux qu’ici. C’est mauvais mais c’est toujours bien meilleur qu’ici. Les programmes américains sont justes bidons. Et il y a trop de pub ici, chaque cinq minutes on dirait, cela me rend dingue! La plupart des programmes (en Grande Bretagne) sont pro-establishment, avec un programme radical pour lâcher la vapeur, enlever la pression. Alors les gens vont dire ‘Ah, mais regarde ce qu’ils ont montré à la télé la dernière fois, le système capitaliste n’est pas si mal que ça’. Alors cela laisse libre cours aux vues des gens et ils pensent ‘Oh. Ils font quelque chose à propos de telle chose…’ C’est toujours de la merde, c’est juste un autre genre.” Douglas Pearce
Pourtant, quelques morceaux s’avèrent étonnants de la part d’un groupe de positive punk. Ainsi, Back ln The USSR est une attaque envers les punks communistes.
- “Tu dis que tu veux vivre à leur manière
- Mais je ne pense pas que tu y resterais (…)
- Ne te rebelle pas, tu ne seras pas remercié
- Tu seras juste écrasé par un tank
- Back in the USSR
Red Brigades est, paradoxalement pour un groupe engagé d’extrême gauche, une condamnation du terrorisme de gauche via l’évocation de l’enlèvement et de l’assassinat d’Aldo Mura, le leader de la démocratie chrétienne italienne, par les brigades rouges en 1978 car “Dans la mort, le politicien capitaliste le plus cynique devient le monsieur propre de l’Italie”
- “Le terrorisme urbain n’est pas un substitut
- A la construction d’un parti révolutionnaire prolétarien
- Les camarades s’égarent
- Ils nourrisent le ‘Pouah!’ de la classe capitaliste
- L’idée de provoquer un état fasciste est folle
- Cela pourrait faire pencher les masses
- Mais à quel prix?”
- Red Brigades
La dernière chanson de l’album, Kanada Kommando, traite du travail des prisonniers dans les camps de concentration. On peut entendre à la fin du morceau la phrase suivante :
- “Les juifs n’étaient pas les seuls”
- Kanada Kommando
Un rappel sans aucun doute des milliers de “déviants” (homosexuels, militants politiques…) ayant péri pendant la seconde guerre mondiale.
Pour en finir avec ce disque, on petit aussi noter la présence de Doug Pearce sur Afraid où, d’une voix grave, il répond au chant de Dexter, angoissé à l’idée de sortir le soir.
“Une des idées initiales derrière Crisis était d’avoir un groupe ouvertement d’extrême gauche qui faisait plus que d’avoir des attitudes à la mode. Pourtant, certainement à la fin de 1979, nous fûmes tous complétement désabusés par la politique d’extrême gauche. A cela s’ajouta le fait que je devenais fatigué de tout organiser pour un groupe compsoé de quatre personnes. Quand je me suis arrêté, j’ai attendu que les autres acceptent leurs responsabilités et rien ne s’est produit. C’était vraiment le bon moment pour que le groupe meure. Le dernier concert fut joué avec Magazine le 10 mai 1980. Il y a un million d’années!” Douglas Pearce
L’ultime performance de Crisis en première partie du groupe de Howard Devoto eut lieu à Guildford, malgré les menaces qu’avaient proférées Dexter le 25 février.
Les titres joués (Holocaust, Holy Water, Laughin’, On TV, White Youth, Red Brigades, All Alone In Her Nirvana. Alienation, CIA, UK79) reflétaient dans leur majorité une conscience politique intransigeante.
“C’était très idéaliste, naïf et stupide. La vue du groupe était très liée à l’époque punk. On s’est formé en 76, on faisait partie de tout ce truc punk, qui était génial, mais qui comportait des slogans. On s’est identifié à une série arrêtée d’idéaux d’extrême gauche, à des idées socialistes. A cette période, Doug et moi étions des gauchistes fanatiques. En fait on voyait Crisis comme un outil politique de la marche en avant du socialisme.” Tony Wakeford
Pearce et Wakeford prirent tout de même la décision de poursuivre l’aventure ensemble, tandis que les autres trouveront par la suite un rôle dans Theater Of Hate Duke Rendall ou dans Carcrash international.
“Le punk m’a donné une certaine confiance et m’a appris que l’indépendance était la chose la plus importante. Ce fut une période d’apprentissage très instructive, en plus de l’excitation que cela procurait. Tous les mythes liés à la création d’un disque se trouvaient détruits. Je ne crois pas que Death ln June aurait pu être créé aujourd’hui, la mentalité est complètement différente. Nous pensions à l’époque qu’il y avait un vide, aujourd’hui c’est un énorme trou noir. “ Douglas Pearce
Un 45 tours posthume fut réalisé en octobre 81. Il comprenait deux titres, Alienation et Bruckwood Hospital, enregistrés lors de la Peel session de novembre 78 par la formation initiale de Crisis.
Il existe également un 12″ regroupant les deux premiers 45 tours sous le titre de Holocaust UK, mais il semblerait que ce disque ne soit en réalité qu’un pirate.
Tony Wakeford profita de la dissolution de Crisis pour jouer de la basse lors des deux derniers concerts d’un obscur duo punk de Reading dirigé par Pat Leàgas et appelé Runners From 84, un nom en hommage à George Orwell.
“Je joue un genre de musique depuis 1976, lorsque j’avais 17 ans. A l’époque, Richard Mark Butler et moi faisions des enregistrements à la maison où nous utilisions des magnétophones et cassettes. Pas un de nous ne savait jouer d’un instrument d’une façon professionnelle. Malgré tout, nous réussîmes à produire quelques sons rares et intéressants en tapant sur des boîtes de conserve et des cartons ou en jouant avec l’eau. Nous jouions avec pratiquement tout ce qui nous tombait entre les mains, surtout les instruments d’enfants car ceux-ci étaient les plus accessibles. “ Patrick Leàgas
Cette pratique peu académique de la musique entraîna logiquement Leàgas dans le mouvement punk alors en plein essor
“En 1977/78, j’ai joué de la batterie dans plusieurs groupes, du moins quand je n’étais pas saoûl ou que je ne pratiquais pas mes autres passe-temps inconvenants. A cette époque, Richard et moi avions fondé notre premier groupe : Runners From 84. Nous étions tous les deux ennemis du pouvoir; de la police, de l’establishment et nous passions beaucoup de temps à enfreindre les lois. Avec le temps, nous sommes devenus les meilleurs escaladeurs de mur de la ville, bien que nous ne volions jamais les biens privés des gens. A la place, nous cambriolions l’autorité, et quand nous ne faisions pas ça, nous nous battions avec des groupes rivaux pour des possessions territoriales, exactement comme beaucoup d’autres bêtes sauvages à l’époque. Souvent nous approchions la mort de près, jusqu’à ce que finalement nous nous fassions arrêter par la police et soyons jugés. Par la suite, mous apprîmes à mener nos activités nocturnes plus discrètement.” Patrick Leàgas
Entre toutes ces escapades, les deux Robin des Bois des temps modernes rentrèrent en studio pour enregistrer leur premier EP en une journée.
Black Of Our Mind, pressé à seulement 500 exemplaires en 1978 (bien que la “Discography Of The New Wave” donne août 81 comme date de sortie, contient quatre titres tous dans la même veine que Crisis. Le morceau principal s’affiche comme la profession de foi de Leàgas
- “You can’t judge a book by the cover
- So don’t judge us by the things we say
- In the back of my mind, I’m a soldier
- I’m fighting to live my own way”
- Back of our mind
‘Ne nous jugez pas par ce que nous disons’ : il y a certainement plus d’ambiguïté dans cette ligne que dans l’oeuvre intégrale de la majorité des groupes punks de l’époque.
Le deuxième morceau, For The Cause, s’ouvre sur des roulements de tambour, deux phrases reviennent tel un leitmotiv
- “Only soldiers die young
- There’s a time to fight and a time to run”
- For the cause
Dans Only A Human Being, on apprend que “L’Allemagne est en feu”. Il est évident que le thème central des quatre chansons présentes est la guerre, qu’on retrouvera de manière obsessionnelle dans la suite de la carrière de Patrick Leàgas.
- “Don’t tell me that your roof leaks, your car has got a flat tyre
- Poland has bee invaded, Germany is on fire
- (…) Afghanistan is invaded – Yugoslavia is on fire
- The flames go higher and higher
- On fire”
- Only A Human Being
Mais, le résultat final déçut les deux musiciens.
“Les titres avaient peu de rapport avec nous. Le disque entier ressemblait à un bruit très faible alors que nous étions très expressifs sur scène. Les Runners donnèrent plusieurs représentationc et nous jouions devant un public d’habitués. Nous étions connus pour nos chansons contre l’apartheid et le fascisme bien avant que cela soit une mode. Crisis, l’ancien groupe de Douglas Pearce, était également connu jour cela. “ Patrick Leàgas
A l’écoute de ce disque, la réunion entre les Runners From 84 et le bassiste de Crisis n’a rien de déconcertant, les deux formations ayant des vues politiques communes et un même besoin de parfois brouiller les cartes ou, en tous cas, une volonté identique de ne pas s’enfermer dans un carcan de groupe engagé ou toute autre appellation de ce style.
LA NUIT DES LONGS COUTEAUX
“CERTAINS PRÉTENDENT ENCORE QUE CHAQUE INDIVIDU PEUT SE FAIRE LUI-MÊME UNE OPINION SUR LES ÉVÉNEMENTS EN COURS. C’EST UNE PRÉSOMPTION RIDICULE.” PAUL MARION. SECRÉTAIRE GÉNÉRAL À L’INFORMATION EN 1942
“Je savais que je voulais continuer la musique sous une forme ou aune autre et comme Tony et moi étions les principaux compositeurs de Crisis, nous nous sommes mis d’accord sur le fait que ce serait une bonne idée de former un nouveau groupe plus tard. Après plusieurs mois à se reposer et à expérimenter de nouvelles choses (nous avions diffèrentes personnes nous aidant avec des choses comme le saxo, la batterie, le boîtes à rythme etc ; le matériel était bon mais ce n’était pas le cas des gens qui nous aidaient) nous avons formé Death in June avec Patrick Leàgas” Douglas Pearce
Le venue de Leàgas en 1981 donna l’occasion à Wakeford et à Pearce de se remettre au travail sérieusement. La formation aini établie comportait une curiosité. Alors que de bombreux groupes possèdent un unique auteur/compositeur, ou alors un tandem pour l’écriture des paroles et de la musique, Death in June pouvait bénéficier de trois personnes capables de donner naissance à des chansons et de les interpréter. La situation était claire, il ne pouvait décemment pas y avoir de coryphéé au sein de Death in June. Wakeford sera e bassiste, Pearce le guitariste et quelquefois percussioniste, et Leàgas jouera des percussions et de la trompette.
Ne prenant pas le temps de s’aguerrir sur scène, les trois musiciens rentrèrent en studio pour l’enregistrement de leur premier disque. C’est durant cette période, quelques jours avant la sortie du single, que le nom du groupe fut “amené par la destinée” comme se plaît à le rappeler Pearce
“J’ai entendu quelque chose qu’avait dit Patrick et ma version fut Death in June. Nous avons immédiatement su que c’était Le Nom. C’est comme si on nous l’avait envoyé. Il y a une variété de connotations qui étaient toutes pertinentes à cette époque. C’était parfait et cela le reste.” Douglas Pearce
Death in June réalisa son premier maxi 45 tours en novembre 1981. Heaven Street est composé de trois morceaux : le titre éponyme, We Drive East et In the night time.
Par désir d’indépendance, Douglas Pearce créa une structure pour sortir lui-même ses disques : NER, New European Recordings. Un label dont il assurera seul la pérennité mais qui bénéficia tout de même de l’aide de Rough Trade où Pearce travaillait depuis le début de 1981.
Bien qu’ayant déclaré s’être lassé de la politique, la nouvelle symbolique des membres du groupe laissa perplexe plus d’un critique. Sous l’impulsion de Leàgas, le groupe décida de présenter une image inspirée du nazisme bien en contradiction avec le passé des musiciens. Le nom de Death in June évoquait la Nuit des Longs Couteaux. Une chansons qui sera plus tard jouée en concert intitulée Knives y faisant d’ailleurs référence. Le nom du label (les Nouveaux Enregistrements Européens) était suspect aux yeux de beaucoup, Heaven Street abordait le sujet des camps de concentration…
Mais, si leurs chansons comme celles de Crisis abordent le nazisme, I’habillement et l’allure martiale de DIJ heurtaient les esprits. Peu habitués à entendre parler du nazisme autrement qu’en des termes vindicatifs, le public et la presse furent importunés par cette attitude insolite. Jouer avec le style nazi n’était pourtant pas neuf : Throbbing Gristle apparaissait déjà sur scène en uniforme du troisième Reich en 1976. Mais étant réservé à une certaine élite d’un point de vue musical, ce groupe laissait de marbre bon nombre de personnes qui ne voyaient en eux d’horribles intellectuels incompréhensibles.
« Nous avons une approche très fétichiste de l’uniforme. Un uniforme est un objet superbe, c’est sexuel, ça détient le pouvoir. Nous avons toujours été très attirés par des aspects du phénomène militaire. D’abord le côté visuel, esthétique et ensuite l’autodiscipline. La discipline qui vient de soi et non celle qui vous est dictée par un autre. Nous pensons qu’il y a des gens qui aiment se faire commander, c’est une sorte de besoin pour eux, ils refusent toutes responsabilités. C’est un manque de dignité très grave. Nous voulons ordonner notre vie, et quand nous voyons dans quelle merde se complaisent 90% des humains, ça nous encourage dans cette voie » Douglas Pearce
Il existe certainement peu de groupes dont le nom est tiré d’un événement historique et un rappel de la Nuit des Longs Couteaux est peut-être nécessaire.
Dès les premières années de la création du NSDAP, Hitler enrôla des hommes de main pour assurer l’ordre lors des meetings nazis. Le 5 octobre 1921, ils furent regroupés sous l’appelation de SA., l’abréviation de Sturmabteilung, la section d’assaut en français. Le recrutement de cette troupe semble s’être réalisé dans des bars louches ou devant des portes de prisons an vu du pédigree de ses membres. Très vite ils tentèrent de faire régner une atmosphère de terreur dans les rues allemandes et les échauffourées contre les communistes étaient fréquentes. Avec l’avènement de Hitler au pouvoir, les rangs des SA grossirent à vue d’oeil : en 1934 ils comptaient 2,5 millions de membres. A titre d’exemple, les effectifs de l’armée allemande étaient plus de vingt fois inférieurs a ceux des SA.
Dirigés par Ernst Roehm, les SA désiraient supplanter l’armée régulière et, par esprit anticapitaliste, accomplir la “seconde révolution” et s’engager plus à fond dans le socialisme. Les nazis avaient réussi a anéantir la Gauche, mais la Droite restait vaillante : la finance, l’aristocratie et les généraux prussiens qui tenaient serrés les rênes de l’armée. Roehm et d’autres radicaux parmi lesquels Goebbels voulaient voir leur disparition et l’avénement du véritable National-Socialisme.
Hitler, qui avait compris qu’il ne prendrait jamais la place du vieux président Hindenburg, alors mourant, sans l’appui de l’armée, ne vit pas ces prises de position d’un bon oeil. De plus, alors que le réarmement de l’Allemagne s’effectuait en secret, les SA s’équipaient sans grande discrétion. Le général von Brauchitsch expliqua lors d’un procès que “le réarmement était une entreprise trop sérieuse pour qu’on y laissât participer des spéculateurs, des ivrognes et des homosexuels.” En effet, la caste militaire était scandalisée à l’idée que des brutes en chemise brune, avec à leur tête Roehm et la “clique d’homosexuels” qui l’entourait, puissent prendre le contrôle de l’armée.
Les SA trouvèrent des ennemis au sein même du Parti Nazi : d’une part Himmler, le chef des SS, une branche des SA qui se singularisait par le port de chemise noire, et d’autre part Goering, nommé général par Hindenburg, qui troqua sa chemise brune contre un uniforme plus prestigieux et qui, par ses origines familiales, se rangea aux côtés de l’armée dans la lutte contre Roehm. Il en profita pour constituer sa propre police, la Landespolizeigruppe General Goering.
Hitler rappela son vieux camarade Roehm, la seule personne qu’il tutoyait, lui demanda de modérer son ardeur et ordonna aux SA une permission. Roehm en profita pour rejoindre l’hotel Hanslbauerde Wiesse, une station thermale près de Munich. Pourtant, la sanction n’était pas suffisante. Pour obtenir l’appui de l’armée, Hitler devait se montrer plus sévère. C’est alors que Himmler réussit à convaincre le Führer de l’imminence d’un complet fomenté par Roehm. Le chef des SS reçut l’ordre d’étouffer le putsch en Bavière et Goering à Berlin.
Le 30 Juin 1934, à l’aube, Roehm et ses lieutenants furent tirés de leurs lits par les SS. Heines, l’Obergruppenführer SA de Silésie et ancien condamné de droit commun, fut surpris avec un jeune homme et sommairement abattu. Hitler en personne entra dans la chambre de Roehm et deux officiers SS l’exécutèrent. Dans le même temps, à Berlin, quelques cent cinquante chefs SA furent fusillés par des pelotons d’exécution. Les SS profitèrent de cette journée pour régler de vieux comptes avec diverses personnalités politiques. Aujourd’hui, on estime à plus d’un millier le nombre de victimes de cette purge.
A propos des chefs SA assassinés, Hitler dédara que pour leur morale corrompue seule, ces hommes méritaient de mourir.
Le premier single de Death In June s’affirmait donc comme une suite de Crisis en évoquant les camps de concentration. Il faut par ailleurs ajouter que la chanson principale avait été écrite seulement quelques jours après la dissolution de Crisis.
Cette rue du paradis est en effet celle qu’empruntèrent plusieurs millions de personnes durant la seconde guerre mondiale. Mais, certains critiques virent dans ces paroles une volonté d’envoyer d’autres personnes dans des camps. Arriver à ce jugement semble pourtant bien injustifié si l’on en juge par le passé des membres de Death In June.
Le deuxième titre du 12″, We Drive East, donna (‘impression d’étre une chanson anti-communiste :
Elle semble en fait être une référence a l’invasion de l’URSS par les troupes nazies, le “Drang Nach Osten”, la poussée vers l’est hitlérienne. Il faut en effet se rappeler que les troupes étaient non seulement composées de soldats allemands mais aussi de volontaires venant de tous les pays d’Europe pour se battre sur le Front de l’Est. A ce jour, on peut affirmer que ce fut la seule armée européenne, bien que le commandement était l’affaire de l’Allemagne. Sur cette chanson est largement présent un instrument jusqu’alors hors de propos dans ce style de musique : la trompette
Quant à In The Night Time, le dernier morceau, il refelète le dégoût de Tony Wakeford pour la société actuelle :
Son texte condamne la permissivité et la fausseté des valeurs qu’inculquent les médias à travers le sensationnel de la pornographie.
“Ironiquement, à cause de cette chanson, DIJ a été accusé d’être antiféministe dans un journal allemand. Cela m’a toujours complètement sidéré” Douglas Pearce
Il contient également un dernier paragraphe assez inexplicable au vu du reste des paroles. Evidemment une autre référence aux charniers des camps de concentration, mais pourquoi l’intégrer à cette diatribe? La question demeure en suspens.
Enfin, il est à noter que la référence de ce disque est SA 29 6 34, autrement dit le 29 juin 34, le jour précédant la péroraison de la rebéllion des SA. On peut pousser les investigations un peu plus loin en se demandant si le brun de la pochette n’est pas une autre référence aux chemises brunes des SA. Cette pochette montrant une photographie d’un bunker en bord de mer est indubitablement l’une des plus belles de l’année. La nécessité d’avoir une couverture attrayante était vitale pour une formation n’ayant toujours pas joué le moindre concert et n’étant jamais apparu dans les colonnes de la presse. Le nom de Death In June était alors totalement inconnu dans le milieu journalistique. Une seconde édition appraîtra plus tard avec une pochette blanche et non brune.
Peut-étre est-ce dû au changement de personnel, le son du groupe avait nettement évolué. Du peu de mélodie et des rythmes saccadés de Crisis servant à appuyer le message politique, on est passé a une musique new-wave où l’influence de groupes tels que Joy Division était indéniable, même si Doug Pearce affirma avec humour en 1982 que sa musique ressemblait peut-être plus à la réunion de Richard Wagner et Scott Walker dans un meeting a Nuremberg.
“C’est vrai qu’à la base nous avons des choses en commun avec Joy Division, la même approche de certaines choses. Nous créons une atmosphère qui peut se rapprocher de la leur. Mais nous ne sommes en aucun cas un prolongement de Joy Division. Nous sommes Death in June.” Douglas Pearce
Il est vrai qu’au delà de la ressemblance musicale, il existe des points communs entre DIJ et le groupe mancunien au niveau de I’attitude et de I’iconographie. Le premier disque de Joy Division, qui s’appelait encore Warsaw, avait pour pochette une représentation d’un enfant des Jeunesses Hitlériennes et le nom du groupe était écrit en caractères gothiques. On demanda à DIJ s’ils ne reflètaient pas l’ambiguïté de Warsaw
“Peut-être? Par extension. Mais DIJ va plus loin dans ce sens, en explorant à fond la sensualié de cette imagerie, son fétichisme qui transcende l’attraction de la mort, de la beauté et de l’horreur” Patrick Leàgas
Si des ressemblances existaient, il n’y avait aucunement de copiage éhonté et Death ln June n’a jamais été a Joy Division ce que Lenny Kravitz est à John Lennon.
“Je ne pourrai jamais vraiment voir l’intérêt de copier d’autres groupes. Si tu manques de foi dans tes propres chansons, quel est l’intérêt de créer de la musique? J’ai toujours laissé les imitations aux perroquets.” Douglas Pearce
Ce maxi 45 tours fut remarqué et eut l’honneur, peu courant pour un premier disque, d’être le single de la semaine pour le journal hebdomadaire Sounds :
“Heaven Street est un mur énorme, écrasant, monolithique de sons sinistres : cela vous prend et vous écrase, mais doucement, oh si doucement.” Sounds
Le concert initial se déroula au Central London Polytechnic le 11 décembre 81 en première partie de Birthday Party, le groupe de Nick Cave, alors considéré comme un des papes du mouvement gothique auquel sera associé Death ln June.
La deuxième production vinylique, Ie 45 tours State Laughter, parut en septembre 82. La référence du disque est logique : SA 30.6.34. Après le 29 juin, il y eut le 30 et la Nuit des Longs Couteaux. Et sa pochette voit la première apparition de la Totenkopf 6 qui deviendra l’emblême du groupe. Bien que cette tête de mort aie été le symbole de divisions des SS, elle avait aussi été portée par de nombreux corps d’élite de l’armée de l’Empire Allemand, de l’armée allemande dans les deux guerres mondiales, mais aussi d’autre sunités à travers le monde, y compris en Angleterre et aux USA! Quoi qu’il en soit, ce design particulier était celui adopté par les SS et est utilisé par Death in June pour les mêmes raisons : un signe d’engagement total à une vision, et préviens les ennemis qu’ils ne seront pas tolérés. En parlant d’engagement, il est à supposer qu’il s’agit pour Douglas Pearce d’un engagement à Death in June.
Contrairement à ce qu’aurait pu laisser supposer le titre de cette chanson, il n’est nullement question de rire avec cette chanson :
L’utilisation de la trompette est encore plus importante, donnant un ton sépulcral au morceau, comme une sonnerie aux morts. La distanciation avec les chansons de Crisis était fortement sensible sur ce titre.
“L’esprit de Crisis est mort avec Crisis, évidmment il y a certaines similitudes dans le style de jeu, mais les structures sont plus proches du début de Runners From 84 que de Crisis qui jouait surtout du rock” Patrick Leàgas
“Il ya un grand fossé entre Crisis et DIJ. Bien que nous ayons des idées similaires, nous sommes beaucoup plus désenchantés” Tony Wakeford
Sur la face B se trouve Holy Water, une critique de la religion chrétienne. Il semblerait que l’apostasie de Pearce trouve des racines profondes et anciennces.
“Mes parents ont essayé de me baptiser lorsque j’étais enfant. Le prêtre a refusé – ce qui est peu commun – parce qu’ils se rendaient rarement à l’église. Alors en fait, le refus du pretre fut une bénédiction car je n’ai pas été corrompu par l’hypocrisie chrétienne. Mes seules expériences chrétiennes n’ont été que des malveillances dirigées contre moi.” Douglas Pearce
“En général je suis indifférent au christianisme, à moins qu’il ne me gêne activement. Malheureusement même dans son agonie il envoi de grands coups de pieds à tout ce qu’il peut atteindre. Il peut toujours être dangereux” Douglas Pearce
Le sentiment de deréliction des trois membres les rendra toujours acerbes quant au christianisme. Ils n’auront que dédain envers ceux qui défendent cette religion.
Pearce décida ensuite de publier d’autres artistes sous la bannière New European Recordings. La première étape fut l’album “Brighter Now” des Legendary Pink Dots, coproduit par NER et In Phaze Records. Il n’y eut pas d’autres productions avant 1984.
Alors que 1982 se terminait, Death In June se produisit à Farnham le 16 décembre pour ce qui était seulement le troisième concert de l’histoire du groupe. Trois en un peu plus d’un an, voilà qui était peu commun à une époque où le punk rock permettait au premier quidam venu de jouer sur scène.
“Nous faisons peu de performances parce que nous ne les aimons pas, elles nous ennuient. Cela entraîne trop de problèmes, on doit traiter avec de la vermine : promoteurs, gérants de pub et autres gangsters à peine déguisé à qui on ne donnerait normalement même pas le temps de etc etc etc… Nous n’avons pas suffisamment d’argent pour organiser nos propres trucs dans le peu d’endroits disponibles. Moins nous jouerons et plus nos apparitions resteront spéciales.” Douglas Pearce
1983 députa avec deux concerts au Royal Hall de Guildford le 29 javier et ensuite à Londres le 9 février. Ce concert au Moonlight en compagnie de Ten Thousand Lonely Thumbs et Iron In Flesh attira l’attention de quelques journalistes.
“Death in june, la raison de ma présence, m’ont impressioné musicalement. (…) Maintenant, Death in June ne sont pas nazis, mais l’image perturbe autant que la fumée de la salle. Il n’y a rien de réjouissant dans les chemisettes, les cravates noires et le tambour joué en portant la tête haute et fière (…) La musique aurait ordinairement été irrésistible, mais ma nature poreuse s’est jetée sur le dédain, car la nuit porte des dangers trop grands pour que la musique soit la considération principale” Mick Mercer, Melody Maker
The Guilty Have No Pride, le mini album que NER publia en Juin 1983, reprit le symbole de la pochette de State Laughter, une Totenkopf, mais cette fois accompagnée d’un 6. Cette image intrigua alors que l’explication en est simple : la Totenkopf représente la mort et le 6 le sixieme mois de l’année.
“La tête de mort utilisée est celle adoptée par les SS et nous nous en servons pour les mêmes raisons. Elle démontre un engagement total, et elle dit à nos ennemis qu’ils ne seront pas tolérés” Douglas Pearce
Au dos figure une photo de deux hommes, dont l’un tenant un revolver à la main, s’embrassants. Elle fut prise lors de la libération de Paris. Une légende l’accompagne : “When we have each other, we have everything” . Et, en regardant de plus près cette pochette, on aperçoit sur un des bords, écrits en petits caractères ces deux mots – “Constant Unease”. Doit-on voir dans cette assertion un resumé de l’aIbum ? Une petite touche d’humour est quant à elle gravée sur le rond central du vinyle : “Oï! The avnt garde!” à une époque où le magazine Sounds promouvait le mouvement Oï et s’amusait en lançant des citations stupides du style “Oï, le LP”, “Oï, le concert”, “Oï, le groupe”…
Knives ouvre cet album mais sous un nom différent : Till the Living Flesh is Burnt. Au niveau des paroles rien n’est changé si ce n’est le refrain où “The night of the long knives” est remplacé par le nouveau titre.
Lyrics:TILL THE LIVING FLESH IS BURNED
Effectivement les références à la nuit des longs couteaux où les chemises brunes des SA furent souillées par le sang sautent aux veux.
Le deuxième titre, “All alone in her nirvana”, était connue des amateurs de Crisis car joué en concert à cette époque. La version ici présente bénéficie toutefois d’un travail en studio intéressant, une voix trafiquée est utilisée comme fond sonore tout le long du morceau. Ce morceau, initialement présenté comme parlant ‘des personnes qui vivent dans des tours’, va en réalité plus loin que cela, commentant un climat de peur et d’angoisse dans l’Angleterre de ce début des années 80.
Lyrics:ALL ALONE IN HER NIRVANA
On retrouve ensuite deux instrumentaux, Nation et The Guilty Have No Pride (qui n’est pas un vrai morceau instrumental puisque la phrase-titre est répétée) et Nothing Changes, une des chansons les plus désespérées de Wakeford :
En tout seulement sept morceaux, dont certains datant de quelques années, y compris une version remaniée de Heaven Street, rebaptisée ‘Heaven Street MkII’.
Mises à part les questions inéluctables vis-à-vis de l’engagement politique du groupe, The Guilty Have No Pride reçut quelques critiques excellentes. Cet album se place logiquement à la suite des deux singles dans cette new-wave sombre et puissante qui devenait leur marque de fabrication.
“La section rythmique est très lourde et menaçante, comme une botte écrasant un visage sans répit (pou paraphraser OrwelD , sur cela, la guitare et le chant sont placés en striations. Je pourrais comparer les affrontements de Death in June avec le militarisme et le fascisme au travail de Gilbert et Georgess ou vous dire comme ils sont bons mais je ne le ferai pas. Sortez et renseignez vous par vous même” Stewart Home, Sounds
“Death in june, à travers leur isolement préféré, a developpé un premier disque obsédant, une histoire passionante. Raconté avec une individuaité intransigeante, c’est une évasion encourageante, une sorte essentielle et une collection rythmique et vibrante” Dave Henderson, Sounds
Pour Death in June, le bilan était foncièrement positif mais pas suffisamment satisfaisant.
“On n’est pas encore arrivé à nos fins, mais on a été très heureux du bon accueil de notre LP dans la presse anglaise, bien que nous fassions encore peur aux médias ; les gens ne nous connaissent pas encore. On voudrait être reconnu en tant que grand groupe intellectuel indépendant, un peu comme Cabaret Voltaire il y a quelques années” Douglas Pearce
Mais si Cabaret Voltaire était perçu comme un groupe de gauche, la question de l’allégeance de Death in June aux thèses nazies restait en suspens. Les références à la seconde guerre mondiale, aux SA, étaient trop nombreuses pour être innocentes, aux veux de certains, l’engagement politique de Death in June à l’extrême-droite semblait évident, et ce dossier n’est toujours pas dos aujourd’hui où des journaux publiant des artides sur le groupe se sentent obligés d’insérer un avertissement démontrant qu’ils ne sont en aucun cas des descendants de “Je Suis Partout” ou Gringoire. Le groupe dut lui aussi se justifier.
“Je n’ai plus d’intérêt dans la politique des masses mais plutôt dans celle des individus. Je trouve risible que ceux qui expriment leurs inquiétudes pour les masses, les races ou les nations opprimées me suggèrent à moi ou à n’importe qui d’autre d’améliorer la vie. Ils devraient commencer avec leur propre misérable existence! L’imagerie est un conglomérat de styles européens puissants que nous trouvons très attrayants. Cependant si des gens préfèrent choisir le côté fasciste plutôt que le côté fétichiste de cela alors c’est leur choix” Douglas Pearce
“Notre intérêt ne vient pas du fait de tuer toute opposition comme cela a été interprété, mais de l’identification ou de la compréhension avec les éléments gauchistes des SA qui furent purgés ou assassinés par les SS” Douglas Pearce
En effet, ce phénomène d’identification est sans aucun doute un élément de réponse aux nombreux points obscurs qui entourent Death ln June. Pourtant, un genre de fascination pour te régime nazi était forcément présent, fascination n’étant bien entendu pas synonyme d’inclinaison
“C’était la dernière force politique – avant le film et la télévision – qui était basée sur l’irrationnel, avec une idée politique presque médiévale, déja reliée à la technologie et à l’avant-garde mais aussi très réactionnaire. C’était une synthèse des deux, pas basée sur l’économie ou prétendant être scientifique comme le marxisme. C’était spirituel. Quelque perverti qie vous le pensiez, c’était plus qu’un mouvement politique. C’était presque magique. Le svastika, quatre lignes sur le papier, a toujours du pouvoir aujourd’hui. Le svastika et le crucifix sont les deux symboles les plus puissants qui soient reconnus et qui fassent réagir. C’était cela que nous avions choisi” Tony Wakeford
En fait, seul leur passé de musiciens d’extrême-gauche les sauvait et s’ils souhaitaient se dégager de Crisis, ce groupe leur procurait pourtant une immunité du point de vue politique et moral.
“A la base notre idéologie est toujours la même. Nous avons notre idéologie propre qu’on ne peut ranger ni à gauche ni à droite, nous ne sommes en tous cas pas un groupe lié à un parti politique mais cela n’a rien à voir avec des partis” Tony Wakeford
“Nos sujets ont une signification politique mais d’une façon plus oblique, nous ne disons pas ‘c’est ceci’ ou ‘’c’est cela’ à la manière d’une mode qui existait à l’époque de Crisis. C’est de ce point de vue que nous sommes diffèrents” Douglas Pearce
Dans le but d’apporter une nouvelle touche a sa musique, Death In June engagea Richard Butler (à ne pas confondre avec son homologue, chanteur des Psychedelic Furs) au clavier. Recommandé par Leàgas avec qui il avait collaboré au sein de Runners From 84, il fut intégré pendant l’été 83.
Sa première performance se déroula le 4 août 83 dans la salle mythique du Marquee à Londres. Mais les spectateurs présents se souviennent inévitablement plus de Leàgas que de Butler car à cette occasion, le batteur était apparu dans un uniforme SS complet.
La sortie de cet album n’entraîna pas de tournée de promotion, seulement quelques concerts épars. En novembre, le groupe quitta pour la seconde fois la région londonienne (après une performance au Melkweg d’Amsterdam au début de l’année) pour se produire en Ecosse, le 11 à Aberdeen et le 14 à Glasgow. Death In June semblait prendre goût à la scène car on le retrouva à Canterbury le 29 novembre, à New Malden le 2 décembre, à Londres au Living Room trois jours plus tard et encore à Londres, mais au Clarendon Hotel cette fois-ci, le 17. Fait amusant, le concert du Living Room avait été organisé par Alan Mc Gee, celui-là même qui allait devenir le personnage central de la noisy pop en tant que directeur de Création Records. Les opportunités de jouer live ne manquaient pas pour 1984. Au programme étaient prévues une tournés française passant par Lyon, Strasbourg et Rennes, et des dates aux Pays-Bas, en Allemagne et en Belgique. Une ou plusieurs performances en Italie devaient suivre pendant l’été. Finalement, toutes ces dates furent annulées, à l’exception du concert de Lyon auquel s’ajouta une date à Paris.
Pour leur premier concert en France, le 10 janvier 84, Pearce avait préparé avec son ingénieur du son trois cassettes d’une vingtaine de minutes mélangeant Ligeti, Lutoslawski, Nono et le morceau The Guilty Have No Pride, le tout coupé par des chansons de guerre allemandes. Ces bandes étaient intitulées Constant Unease MkI, MkII et MkIII, et comme leur titre l’indique, leur but était de créer un climat de malaise avant l’entrée du groupe.
Death In June monta sur la scène du Club d’Hiver pour y rencontrer de nombreux problèmes techniques et une faible audience.
Deux jours plus tard se déroula leur concert parisien à la Sébale. Haut lieu du mouvement Batcave, cette salle marqua le vrai début des relations entre Death in June et le public du Vieux Continent. La présence de DIJ à la Sébale n’avait rien d’étonnant du fait que The Guilty Have No Pride était considéré comme un dassique de musique gothique. Si l’assistance toute habillée de noir souhaitait voir un groupe à son image, la déception dut être grande
“Je ne m’attendais pas vraiment à tomber sur des babas attardés, mais j’eu quand même un sacré choc quand avant le concert on me présenta à deux petits nazis avec uniforme, coupe réglementaire et tout et tout (…) Le concert fut un deuxième choc, fini les nazillons, bonjour les cosmonautes. En combinaison de colmateurs de fuite de centrale nucléaire, DIJ diffuse des ondes statiques et hiératiques au plus grand désarroi de la foule de branchés venus écouter du positive punk ou en tous cas quelque chose de plus connu. Un atout pour eux. Au moins leur trip faf n’envahit pas trop leur travail de musiciens ou alors je n’ai rien compris ce qui est tout à fait possible.” Best
Le côté visuel était alors particulièrement important. Le groupe entra sur scène avec des masques de cochons et des brassards, puis les tenues de camouflage pour la neige (que certains prirent pour des combinaisons de cosmonautes!) laissèrent la place aux habituelles chemises blanches et cravates noires. Ils utilisaient alors des diapositives et des films où paradaient des militaires sur fond d’images d’holocauste. Pendant que défilaient ces photos honorant le goût du sacrifice et de la mort, Douglas Pearce jouait de la guitare le dos constamment tourné au public.
Le premier morceau interprété s’avéra être un inédit chanté en français et, comme pour accentuer la polémique, cette chanson avait pour sujet Klaus Barbie.
“L’idée nous est venue lorsqu’on a joué à Lyon en 84 près de la prison où était incarcéré Klaus Barbie. Quand nous sommes arrivés à Paris, il y avait une rumeur étrange qui disait que nous voulions nous mettre en contact avec lui. C’était si ridicule qu’on a décidé d’écrire une chanson” Douglas Pearce
Du point de vue musical, cette composition différait du style habituel de par l’utilisation exdusive de percussions et d’un loop. Le deuxième titre, lent et sépulcral, donna également l’impression d’être un inédit mais les paroles étaient celles de Holy Water. Se succédèrent ensuite des morceaux plus connus tels All Alone In Her Nirvana ou Heaven Street, ou non encore publiés comme Fields ou Sons Of Europe.
Contrairement à leur règle, ils revinrent sur scène.
“Nous ne faisons pas de rappels d’habitude, mais cette fois ci c’était un peu pour marquer la fin de Death In June sous sa forme actuelle, un ‘In Memoriam’ en quelque sorte” Douglas Pearce
En effet, ce concert marqua un point crucial dans l’existence du groupe car Tony Wakeford, la figure principale de la formation, quitta Death In June. Des rumeurs de séparation du groupe virent le jour alors que seul Ie départ du bassiste s’était produit. Selon la presse, il avait été renvoyé à cause d’accointances politiques gênantes pour les autres membres du groupe.
« Patrick et moi-même avions demandé à Tony Wakeford de partir car nous sentions qu’il avait perdu tout intérêt pour le groupe et que ses préoccupations extérieures prenaient le dessus. Il est vrai que nous commencions à être ennuyés par ses fréquentations avec certains partis politiques dont nous ne partagions pas les idées mais à qui on nous identifiait, et à cause de cela, il nous portait atteinte de la même façon. Nous ne saurions être tenus responsables des faux pas des autres. Cependant, cela va beaucoup plus loin que ça, Nous sentions que Tony nous empêchait de progresser musicalement à cause de son manque d’enthousiasme à vouloir essayer de nouvelles formes d’expression” Douglas Pearce
La version de l’incrimine est légèrement différente, mais s’accorde sur le point de la lassitude que générait en lui Death ln June
“Je voudrais signaler que je n’ai jamais appartenu à aucun parti d’extrême droite! J’ai eu des relations avec divers groupes versés dans le domaine occulte ou runique dont certains membres avaient des contacts avec d’autres groupes. Je déteste les partis politiques! La principale raison de mon départ était mon manque d’intérêt. Je suis persuadé que Douglas serait d’accord pour dire que j’ai écrit 70 à 80% du matériel. J’avais aussi à chanter et à jouer de la basse…et je déteste chanter ! Ma réaction n’était pas bonne…” Tony Wakeford
Délaissé par son principal compositeur et chanteur, Death In June allait connaitre une nouvelle destinée. Quelques personnes furent essayées mais aucune ne fit l’affaire et dorénavant, Death In June se réduirait à un trio sans bassiste attitré.
Avril 84 vit la parution de Burial, un album hybride, mi studio, mi live, et dernière contribution de Wakeford à Death In June. Le titre initial prévu pour ce LP était “Honour, Discipline, Loyalty” mais le nouveau (enterrement) résumait sans doute mieux l’état actuel du groupe. Edité en de multiples éditions aux vinyles de couleurs différentes, ce disque devint un rêve pour tous les collectionneurs.
Le concert présent sur la Face B, enregistré le 17 décembre au Clarendon Hotel de Londres,ne bénéficie pas d’un enregistrement de grande qualité (enregistré sur un 4 pistes par un certain Bob Santana) et regroupe cinq titres : Till the Living Flesh is Burnt, All Alone In Her Nirvana, Fields, We Drive East et Heaven Street. Quant à l’autre face, elle offre quatre inédits et une version remixée de All Alone In her Nirvana.
Death In June s’essaie à un nouveau style, le folk, sur Death of The West, une musique écrite par Douglas Pearce. Le texte de Tony Wakeford l’affirme en contempteur de la société actuelle
Flelds, une autre composition de Wakeford, aborde le sujet de la guerre d’une manière qui rappelle celle de Crisis, et fait référence aux bombardements des villes de Dresden et de Coventry :
Deux des chansons restantes, Nirvana et Sons of Europe, n’apparaitront sur aucune réédition jusqu’aux années 90 et sont de ce fait parmi les titres les plus méconnus du groupe, ce qui est particulièrement dommage pour Nirvana dont la version diffère de celle de The Guilty…par l’absence de basse, remplacée par une boite à rythme et l’apport de choeurs à la Beach Boys
Sons Of Europe use et abuse des roulements de tambour, des trompettes et de choeurs emphatiques. Les mauvaises langues y verront typiquement le genre de chanson que l’on attendrait plutôt sur un album de Laibach. Death In June appelle ici les jeunes européens à prendre conscience de la richesse de leur culture car “le rêve américains vous a endormi”
“Je pense que la culture euopéenne est ce qu’il y a de plus important au monde et elle est menacée par les autres cultures principales, américain, soviétique par exemple, alors qu’elle a tant à offrir : nous devons en être fiers” Douglas Pearce
Black Radio conclut l’album. C’est un des morceaux les plus “catchy” de la première mouture de Death In June grace à sa ligne de basse qui en fait le titre le plus dansant du groupe. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il fut choisi pour représenter Death in June sur deux compilations. Tout d’abord sur The Angels Are Coming, la double cassette jointe au deuxième numéro de Pleasantly Surprised et ensuite sur New Horizons, une cassette également, éditée par Les Temps Modernes. Il est à noter que la version de Black Radio présente sur New Horizons a été rebaptisée Some Of Our Best Friends Live In South America. Pour la première, et peut-être la dernière fois, Death In June prouvait qu’il avait parfois le sens de l’humour. Les deux dernières lignes de ce texte proviennent d’une tombe d’un soldat de la RAF.
“En tout et pour tout, un souvenir puissant d’un groupe qui dans sa première étape a promis plus qu’il n’a délivre, et qui, je l’espère, va accomplir son potentiel et va s’éloigner des pièges évidents que leur image dramatique peut offrir” David Tibet, Sounds
LA METAMORPHOSE
“ON PEUT SIMULTANÉMENT ÊTRE ET NE PAS ÊTRE. ON PEUT ÊTRE EN MÊME TEMPS RÉVOLUTIONNAIRE ET CONSERVATEUR.” BENITO MUSSOLINI
L’enterrement passé, la nouvelle incarnation de Death In June devait forcèment être dissemblable. She Said Detroy eut l’honneur d’une sortie simultanée en 7” et en 12” single en Juin 84. Mais sur le maxi 45 tours, l’ordre des titres était différent :She Said Destroy se retrouvait sur la face B en compagnie d’un inédit Doubt to nothing, et, The Calling le second morceau du 7”, apparaissait sur la première face.
Dès la première écoute, il était évident que le groupe venait de franchir un palier. La guitare électrique et la basse (sous sa forme antérieure du moins) étaient restées au vestiaire, remplacées par une guitare acoustique et surtout, bien plus de synthétiseur. Le son, moins étouffé qu’auparavant, s’éloignait de la new wave traditionelle. On pourrait dire que le fossé entre la première mouture de Death in June et la seconde est du point de vue musical aussi important que celui existant entre Joy Division et New Order
She Said Destroy est sans aucun doute une des chansons les plus simples et des plus efficaces du groupe grâce à son refrain entêtant.
Sans ce texte sibyllin (au coeur duque on doit reconnaître l’allusion à l’alchimiste Aleister Crowley, la Bête étant son surnom favori) écrit par Pearce et un collaborateur extérieur nommé Christ 93, on pourrait affirmer être en présence d’une réelle chanson pop. Une journaliste de Sounds y sentit des réminiscences de Venus, le hit des Shocking Blue réactualisé il y a quelques années par Bananarama.
“Quelqu’un au travail m’a dit que cela ressemblait. C’est peut-être
subliminal, elle a un feeling très années 60 ce qui est inévitable quand
tu as une guitare acoustique et une basse” Douglas Pearce
Ce titre permit à Death In June de rentrer le 18 août 81 pour la première fois dans le Top des indépendants et le single monta jusqu’à la vingt deuxième position du classement pendant ses neuf semaines de présence.
Sur The Calling on entend également une guitare acoustique mais aussi plus de nappes synthétiques et quelques notes de piano. Mais si la musique se rapproche de la pop, les textes sont toujours sombres et pessimistes.
Pourtant on assiste là à une véritable métamorphose musicale du groupe et la possibilité d’ouvrir le cerde des fans semblait plus que jamais réalisable.
“Death in June fait de la Pop Music pour l’holocauste à venir. “ David Tibet
“Nous serons là à la fin, comme l’orchestre à Auschwitz. Bien que cette fois ce sera plus universel” Douglas Pearce
Le troisième morceau, Doubt To Nothing, est le plus serein des trois.
Dorénavant, les paroles de Death In June deviendront de plus en plus difficilement expliquables, celles de Doubt to Nothing en sont l’exemple probant : quel est ce rêve ? La liberté, l’amour ?…
Sur les trois titres est présente la voix grave et pleine d’emphase de Leàgas, désormais principal compositeur de Death In June. Si bien que sur Doubt to Nothing, sa voix est si stylisée qu’elle fait penser a un émule de Sinatra ou de tout autre crooner.
La pochette de ce disque reproduisait I am Fire, une oeuvre de Fiona A Burr, qui était alors la photographe attitrée de Current 93. On y voit un squelette tenant une faux. Un nouveau logo était utilisé : une main gantée tenant un fouet et encerclant un 6.
“En anglais, il y a une expression ‘to have the whip hand’ qui signifie avoir le contrôle, le commandement. C’est une des raisons pour lesquelles je l’ai utilisée. Cela reflète une image sadomasochiste. Cela marqua un nouveau commencement et une période particulière pour DIJ. Pour moi, ce symbole a plusieurs connotations. Il fait naître plusieurs idées” Douglas Pearce
Pour la première fois dans l’histoire du groupe, un titre avait été écrit en collaboration avec un membre extérieur. En effet, She Said Destroy était signé DIJ/Christ 93. Derrière ce pseudonyme (d’ailleurs remplacé sur la version CD par Tibet 93) se cachait David Tibet.
“Vers l’été et l’automne 83, j’ai remarqué David Tibet et d’autres membres de Psychic TV/Temple ov Psychick Youth qui venaient à quelques concerts londoniens de Death in June. Je le connaissais et j’étais déja au courant de son travail avec Psychic TV et 23 Skidoo, alors j’étais intrigué que lui et les autres soient intéressés par nous. En définitive, nous avons discuté dans ce club appelé The Living Room où Death in June jouait, et nous avons réalisé que nous nous entenions très bien. Je lui ai dit que cela m’intéresserait de travailler avec d’autres gens et il me répondit qu’il avait des paroles qu’il aimerait voir associées à notre musisque” Douglas Pearce
Cette conversation du 5 décembre 83 allait sceller une amitié et une collaboration ininterrompues.
Né en Malaisie, David Michael Bunting passa une jeunesse bien éloignée de la société européenne. Il s’installa dans le pays de ses parents vers l’âge de quatorze ans.
“J’ai arrêté les cours que je suivais à l’université de Newcastle à 21 ans pour étudier la philosophie et la langue tibétaine classique. Je suis très intéressé par le bouddhisme tibétain. Je n’ai aucune idée quant à la manière dont j’en suis venu à la musique. J’étais un grand fan de Nurse with Wound, de Whitehouse. Je ne pouvais jouer d’aucun instrument, et je ne savais pas comment écrire. Je suis retourné à Londres pour étudier. Je marchais dans Portobello Road, au marché à Londres, et Genesis P-Orridge passait par là. J’avais assisté à un concert de Throbbing Gristle et j’avais bavardé brièvement avec lui à la fin du show. Il était sur le point de commencer Psychic TV, et il m’a demandé de me joindre au projet. Il y avait juste Sleazy (Peter Christopherson de TG et futur fondateur de CoiD et un musicien que j’avais rencontré pour un disque de 23 Skidoo. Je ne sais pas pourquoi, parce que je ne joue d’aucun instrument, je pouvais juste faire “tootootooooo!”. Mais c’était une erreur, je n’avais aucun intérêt à faire cela” David Tibet
C’est ainsi qu’il travailla sur le premier album de Psychic TV “Force The Hand Of Chance”
Il fonda son premier groupe en 1982. Dogs Blood Order réunissait Tibet, Roger Smith et John Murphy, connu pour son travail au sein de SPK puis de Whitehouse. Leur premier concert sous le nom de Dog’s Blood Rising devait même se produire par le plus grand des hasards en première partie de Death In June.
Aidé par Fritz Haaman de 23 Skidoo et Geoff Rushton (plus connu sous le nom de John Balance) de Psychic TV, Tibet créa Current 93, rentra en studio et enregistra trois titres qui donneront le 12″ Lashtal. Vivement intéresse par Aleister Crowley, il tirera le nom de son projet de l’oeuvre du magicien car le “93ème courant” était un terme technique pour son abbaye de Thelema.
“C’est une théorie magique selon laquelle on vit en ce moment entre deux âges. C’est un double cercle et le courant qui les relie c’est le courant 93. C’est une expplication magique mais aussi numérologique. Le premier âge est celui du chaos, de la confusion et de la guerre : il caractérise le Xxème siècle. Le deuxième âge verra l’humanité sortir de l’autre côté et cela coincide avec l’idée chrétienne de la deuxième venue de Dieu sur Terre : l’Illumination” Douglas Pearce
Après ce 12″, Tibet s’associa à de nouvelles personnes pour l’élaboration d‘albums, John Murphy entre autres, mais le principal collaborateur s’avèrera être Steven Stapleton, le seul membre permanent de Nurse With Wound. Nature Unveiled, Dogs Blood Rising, Live at Bar Maldoror, les trois premiers albums de Current 93 contiennent de longues plages expérimentales, difficiles d’accès et fortement mystiques, l’inspiration fondamentale de Tibet étant à cette époque des écrits chrétiens eschatologiques. L’autre source majeure était alors le livre de Lautréamont ‘Les Chants de Maldoror’. Ainsi Nature Unveiled est composé de deux morceaux, l’un intitulé Maldoror is Dead et l’autre The Mystical Body of Christ in Chorazaim (Chorazaim est la ville de naissance de l’antéchrist, l’équivalent ou plutôt l’antithèse de Bethléem).
Le disque suivant fut de la même veine, mais Nightmare Culture est un split LP avec Sickness Of Snakes, une collaboration entre Coil et Boyd Rice de NON. Killy Kill Killy, la composition de Current 93, mélange musique dassique et chants tibétains, avec la participation cette fois-ci de Steve Ignorant de Crass. In Menstrual Night, l’album suivant, réalisé avec Stapleton et HöH de Psychic TV, est également un disque abstrus mais on y voit se dessiner un nouveau thème, la menstruation. C’est alors vers 1986 qu’un changement important va se produire dans la musique de Current 93 grâce à la présence grandissante de Douglas Pearce au sein du groupe.
Current 93 apparut sur la même compilation que les premiers morceaux enregistrés par le nouveau Death In June. From Torture To Conscience, dont la photo de la pochette provenait de Dachau, était un projet signé Pearce sur son label NER, limité à 3000 exemplaires et comprenait cinq groupes : bien entendu Death in June, la formation de Tibet, les français de Clair Obscur, Iron FIesh et In The Nursery, deux groupes ayant joué plusieurs fois en première partie de Death In june.
Les deux morceaux de DIJ, dans une veille synthtique, donnaient un aspect plus expérimental à leur musique. Le texte du très solennel The Torture Garden (Traduction de I’excellent Jardin Des Supplices d’Octave Mirbeau) était l’oeuvre de Tibet et on peut ressentir son influence dans l’atmosphère mystique de ce titre et l’utilisation de chants grégoriens.
The Last Farewell est basé sur des volutes synthétiques et des sons de dochettes qui donnent un léger côté New Age à cette chanson pratiquement instrumentale, dont seules quelques lignes parlées troublent le calme
Les deux titres présents sur cette compilation se révèlent toutefois très différents de ceux du 12″, plus acoustiques et plus faciles d’accès. Leur choix est pourtant logique au vu des autres chansons présentes sur From Torture To conscience, toutes ancrées dans un style expérimental à l’exception des deux morceaux de In The Nursery.
Le 28 août 84 marqua le retour de Death In June sur scène au Fridge de Brixton. Le groupe, depuis le concert parisien et le départ de Tony Wakeford, s’était concentré sur le travail en studio. Pearce, Leàgas et Butler ne jouèrent que deux titres de la précédente incarnation Till The Living FIesh Is Burned et leur morceau de bravoure Heaven Street. Le reste de la performance fut consacrée aux dernières compositions. Parmi celles-ci, Christine The Lizard, un morceau techno-pop qui tranchait par un chant moins prononcé qu’à l’habitude. Ce fut enfin la première apparition sur scène de David Tibet, à la basse et au chant sur un titre, aux côtés de Death In June. Après ce concert, la presse en arrivait toujours à Ia même question : “Sont-ils fascistes ?”
“Si, comme ils le clament, ils ne sont pas fascistes alors ils souffrent d’un sens de l’identité mal placé qui se manifeste dans le morbide et l’obscène. D’un autre côté, s’ils sont fascistes ils devraient être écrasés avec toute la force d’une botte.” Neil Taylor, NME
Pourtant dans son artide, ce journaliste avoue que le groupe est “phénoménalement talentueux” mais qu’il ne peut le cautionner d’un point de vue éthique.
“La musique n’est pas une chose stationnaire mais un véhicule qui tranporte des idées, et rien ne peut-être plus nocif que les titres de DIJ tels que Till The Living Flesh Is Burned, Fields Of Rape et l’écoeurant Où Est Klaus Barbie “ Neil Taylor, NME
En dehors de ce papier peu convaincant, on reconnaîtra l’humour subtil de ce type de journaux à la légende lapidaire accompagnant la photographie du quatuor : “à la basse Dave Tibet de Sounds qui de son propre aveu a un clou en travers de sa bite. La photo ?”. Il n’est guère étonnant au vu d’articles semblables que Death in June soit toujours resté éloigné de la presse musicale nationale. Il faut ajouter à la décharge de Neil que les membres de ln the Nursery qui jouait en première partie tenaient à se démarquer de Death in June. Ils quittèrent par ailleurs rapidement NER, avec qui ils n’ont jamais signé de contrat, après la sortie de leur 12” trois titres ‘Sonority’.
“Lors de l’un de nos premiers concerts, Douglas Pearce était venu nous voir pour nous proposer d’intégrer son label. C’était pour nous une grande opportunité, et c’est juste pour cela que nous avions accepté. Nous ne connaissions pas son engouement pour l’imagerie fasciste et cela a soulevé beaucoup de problèmes et d’animosité contre nous. Nous avons dû créer notre différence par rapport à ceux qui jouent avec cette image. Heureusement ce genre de confusion se fait de plus en plus rare. Alors, que ce soit dit une bonne fois pour toute, nous n’avons jamais partagé les idées de Douglas et nous trouvons dangereux des groupes comme Laibach qui se servent de la fascination qu’engendre le Troisième Reich.” Klive Humberstone
Lorsque ce dernier dit ne pas partager les idées de Douglas Pearce, il fait bien évidemment référence à son goût pour la symbolique nazie et non pas à ses idées politiques. Dans la même période, Private Eye publia dans son édition du 7 septembre un artide incendiaire sur Death In June, “le groupe de droite le plus populaire du moment”
“Pierce (sic) a récemment été viré de son job chez Rough Trade Distribution pour incompétence, bien qu’il ait été averti il y a quelques temps de s’habiller diffèremment. Malheureusement, la presse n’a pas jugé bon de les ignorer, avec Sounds les honorant de deux longs articles et deux ‘single de la semaine’ pour Heaven Street et le dernier She Said Destroy/Black New York (re-sic!). Leur musique, du sous Joy Division, a fait que leurs ventes sont aux environs de 4000 et risquent d’augmenter.” Private Eye
Il faut ajouter que l’artide complet est rempli d’inexactitudes et d’interprétations erronées. Ainsi, l’auteur anonyme cite pour l’exemple un titre de chanson de Crisis, White Youth, et ce morceau devient pour lui un hymne nazi ; s’il avait daigné écouter les paroles, qui justement dénonçait cette jeunesse blanche, il n’aurait pu affirmer une telle chose – sauf si son intention était délibérée…
La réponse de Douglas Pearce ne se fit pas attendre
“En utilisant la pratique courante de tirer des paroles hors de leur contexte, James Nice (c’est sûrement lui car il s’est vanté qu’il allait démolir le groupe à quelques uns de nos meilleurs amis qui vivent en Ecosse) nous décrit comme un groupe de nazis antisémites et anti-noirs. Nous ne le sommes pas et ne le serons jamais. James Nice est un connard aigri parce que nous avons choisi de l’ignorer après qu’il nous ait fait faux bond à propos d’une performance que nous allions faire à Edimbourg. Comme un enfant gâté, il a décidé une vengeance puante sur le groupe, car nous n’avions pas réussi à voir quelle personne merveilleuse il est en réalité” Douglas Pearce
Malheureusement, plusieurs journaux répercutèrent au pied de la lettre les prétendues informations de Private Eye. La suspicion latente commençait à laisser la place a de réelles accusations. Ensuite, il était aisé pour ceux qui voulaient nuire à Death In June de tronquer quelques paroles du groupe, telle que la citation suivante
“Mes influences particulières viennent pobablement de la période de 66 à 73 pour la musique, l’art, les films, ma vie… 1930-45 étaient de bonnes années pour le style et la beauté” Douglas Pearce
Sous la plume d’un journaliste du NME qui a lu ces quelque lignes, on apprend que “1930-45 est la période préférée de Doug Pearce”. II est vrai que l’être humain n’est pas capable de retenir toutes les informations qu’il reçoit. Ce qui est certain, c’est que quelques journalistes ne retiendront dans des paroles amphibologiques que le côté sensationnel.
Le mépris, loin d’être elliptique, qu’affichent Death In June vis-à-vis de la presse, ainsi que des déclarations polémiques de Pearce du style “ils ne sont que de la merde et ils le savent”, ne fera que renforcer celle-ci dans ses opinions.
Cette période vit la naissance des premières rumeurs malveillantes. Les lecteurs purent lire à cette époque que Death In June approuvait la guerre des Malouines, ou qu’ils possédaient leur carte de membre du National Front.
Bien que toutes ces fausses nouvelles portaient préjudice à la formation, les ventes progressaient, principalement en Europe Continentale, mais les résultats britanniques étaient loin d’être ridicules, les concerts londoniens attiraient de plus en plus de public…
“Richard nous a rejoint l’année dernière et les concerts sont devenus plus puissants, probablement parce que notre réputation a grandi dans cette période. Il rend les choses plus sophistiquées.” Douglas Pearce
Néanmoins, deux mois après cette déclaration, alors que I’enregistrement du prochain album se terminait en décembre 84, Richard Mark Butler quitta Death in June.
“L’utilité de Richard était de nous aider à jouer en concert. Il fit ce que nous lui demandions mais il apporta très peu du côté créatif. Il a pourtant fait le tape loop de C’est un Rêve et a écrit la ligne de synthé de Doubt To Nothing. Après l’enregistrement de Nada! Il n’y avait plus d’intérêt à ce qu’il reste avec Patrick et moi. Alors, Pat lui a demandé de partir.” Douglas Pearce
“La boucle vocale était une pure coïncidence et a été faite après l’écriture du refrain. Ce fut une des rares contributions véritables de Richard Butler; Il a enregistré une sélection de chaînes de radio prélevées au hasard et celle-ci en faisait partie. A notre grand étonnement elle ressemblait exactement à ‘où est Klaus Barbie’!” Douglas Pearce
Décembre 1984 sera également un premier rendez-vous manqué entre Death in June et un futur collaborateur, en la personne de Boyd Rice. Le 7 Novembre 1984, Death in June joue avec Nick Cave & The Bad Seeds, Psycho Circus et NON. Mais celui-ci se voit refuser l’entrée au Royaume-Uni par les douanes…
David Tibet étant pour sa part trop occupé par Current 93, les concerts de DIJ se dérouleront donc avec des bandes pré-enregistrées à la place des synthétiseurs, Doug jouant de la guitare et des percussions, Patrick s’occupant essentiellement du chant et de percussions. Le premier, pour la promotion du nouvel album, eut lieu au Club 100 de Londres le 12 mars 85, Ie second deux jours plus tard à Paris à l’Iguane. Une tournée italienne allait suivre en avril.
Un split 12″ en compagnie du groupe techno-pop français Art et technique était prévu en juin, mais n’aboutit jamais.
“Le 12” avec Art et Technique n’a jamais vu le jour parce que je me suis aperçu qu’ils essayaient de nous manoeuvrer de manière parasitique et que leur prétendue ‘amitié’ ne nous offrait rien. Death in June ne saurait être utilisé de la sorte!” Douglas Pearce
Nada!, l’album tant attendu, eut l’heur de choquer par sa pochette et son contenu. La photo représentait trois hommes, Butler, Leàgas et Pearce, dos tournés à l’objectir dans un mausolée : l’un d’eux à la tête rasée. Au centre, sur une tombe, sont placés un crâne et trois dagues.
Dans les paroles de C’est un Rêve il était donc question de Klaus Barbie.
Cette fois-ci, pour la presse, en particulier le NME, il n’y a plus de doute : Death In June est un putain de groupe nazi !!!
“C’est vrai que beaucoup de gens ont une fausse vision de Death in June. Mais je pense que le public a compris. Ce sont souvent les médias qui ont déformé notre image : ils ont trop Souvent vu Death in June superficiellement. Ils n’ont pas cherché à approfondir réellement… Quant aux gens qui nous prennent pour des nazis, nous n’avons rien à leur dire. Ils pensent ce qu’ils veulent. Nous nous servons d’artifices nazis parce que c’est une image qui contient une grande force de communication. Cela nous intéresse beaucoup de savoir et voir tout ce qu’on a pu faire aux gens parle nazisme, mais cela ne veut pas dire que nous sommes nazis. Nous ne le sommes pas!” Douglas Pearce
Il est vrai qu’il est rare de voir des artistes utiliser des ornements militaires autrement que dans un but démonstratif ou par volonté de scandaliser.
“J’ai toujours vécu avec l’armée, toute ma famille travaille dans l’armée. J’ai vécu dans une région où il y a des bases militaires et des militaires partout. Nous sommes obligés de vivre avec l’armée consciemment ou non. Je sais que l’armée est une mauvaise chose? Mais comme je l’ai dit, elle fait partie de moi, de ma vie. Je ne peux y échapper. Mais cela ne veut pas dire que politiquement j’approuve l’armée. Il faut que les gens cessent de voir des significations politiques dans Death in June. Nous n’avons pas de message politique et puis de toute manière, s’il devait y en avoir un, nous sommes plutôt à gauche” Patrick Leàgas
Quant à C’est un Rêve, la chanson incriminée, le message n’est pas non plus politique, le texte n’est ni une apologie ni une dénonciation de Barbie.
“C’est Doug qui l’a écrite, je ne sais pas ce qu’il en pense. Pour moi, c’est comme un livre que j’ai lu sur des jeunes américains qui n’ont jamais fait de mal à personne et qui vont au Vietnam et deviennent des meurtriers. Ils tuent alors qu’ils n’auraient jamais été capables de cela. C’est toujours facile. Mais il faut voir le contexte. Il y a un Klaus Barbie en chacun de nous” Patrick Leàgas
“C’est un rêve ne concerne pas spécialement Klaus Barbie. Son nom est plutôt utilisé d’une manière symbolique. Il y a beaucoup de gens comme Barbie, il n’a rien de spécial, il s’est juste trouvé du côté des perdants et il a été attrapé. Les gens n’aiment pas penser que sous plusieurs d’entre eux se cache un nouveau Barbie. Nous n’avons qu’à regarder en Afrique, en Amérique du Sud ou même en Irlande du Nord pour truver des exemples contemporains. Barbie est le miroir auquel nous ne pouvons faire face. Toutefois, la conduite de la résistance française durant la guerre fut-elle si irréprochable? Je ne le pense pas. Il y a plusieurs points d’interrogation qui planent sur la conduite de la France après sa capitulation et sa libération. Néammoins, je pense que ce procès fut une déception car les questions les plus générales d’humanité n’ont pas été développées. Plus de 50 000 français et françaises ont été éxécutées après la guerre pour faits de collaboration. Etait-ce là l’oeuvre d’une société dite ‘humaine’? Je crois que ce cas de conscience ne s’est posé que pour l’Europe de l’Ouest. Combien de gens Barbie a-t’il tué ou torturé? Aucune importance car je pense qu’il est indubitablement coupable. Mais la France est-elle pour autant innocente?” Douglas Pearce
Musicalement, Nada! poursuit l’évolution constatée sur le single et deux grands axes se forment : Death in June évolue entre techno-pop sombre et pop-folk. Leàgas et Pearce se partagent a peu près à armes égales les compositions : les morceaux les plus synthétiques sont l’oeuvre du premier nommé tandis que ceux plus acoustiques sont écrits par le second. La présence de deux songwriters amène ainsi des transitions étonnantes. Leper Lord, une chanson inspirée par des musiciens des années 60 comme Scott Walker, est ainsi intercalée entre The Calling (MkID, une version réenregistrée et techno du single, et Rain of Despair, le nouveau nom de Christine the Lizard.
Nada! est sans aucun doute I’album le plus hétérodite de Death In June. Il se trouve dans les dix compositions de ce disque plus de diversité que dans certaines compilations d’artistes différents. D’ailleurs, quelques personnes pourraient assurément y voir un disque réunissant divers groupes, que ce soit par Ia présence de musiques autrefois jugées antinomiques Da techno étant métaphoriquement la musique du futur et le folk celle du passé) que par les variations dans le chant : Death in June navigue entre les voix graves et déclamatoires (Pearce sur The Honour Of Silence et Leàgas sur Foretold) et leurs contraires avec Rain Of Despair ou Crush My Love, la chanson qui suspend à l’infini l’album en raison d’un sillon en boucle. Dans les paroles et le livret de sa réédition en Cd cette chanson est bizarrement appelée Crush My Soul
Lyrics:CRUSH MY SOUL/CRUSH MY LOVE
David Tibet est à nouveau présent au niveau des textes. Il a donc participé à l’écriture de She said destroy mais aussi de Leper Lord et Behind the Rose (Fields of Rape), en plus d’avoir inspiré celui de The Honour Of Silence.
La “poèsie” de Leàgas et de Pearce n’est pas des plus gaies et le duo tombe trop souvent dans le piège de la grandiloquence.
Contrairement aux musiques, il est impossible de faire une distinction entre les paroliers, tous deux partageant un même style
On reconnait néanmoins le style désespéré de Leàgas dans ces lignes
Le groupe avait pourtant affirmé que ce disque serait “beaucoup moins agressif et pessimiste” que son prédecesseur!
Les paroles ont subi comme les musiques une évolution due au départ de Wakeford et deviennent encore plus absconses. Pour la première fois, les textes sont retranscrits sur le disque.
“Les gens désiraient les connaître et le disque est plus beau, plus complet” Patrick Leàgas
Les réactions de la presse face au nouveau visage de Death in June furent majoritairement prévisibles
“J’ai peur de n’avoir absolument rien de charitable à dire sur les disques de Mood Six, Robin Hitchcock ou Death in June” Liz Taylor, The Catalogue
“Death in june se vantent de quelques caractéristiques atténuantes pour excuser leur cinéma démodé, leur ‘art’ est aussi pétrifié qu’un foetus dans le formol et deux fois plus laid. Nada! Est de l’espagnol pour rien qui est, de façon opportune, auto-descriptif. ‘La vierge a béni l’appel de la bête’ mon cul! De quel livre apocalyptique avez vous tiré cette citation les gars? Les chansons sont nourries de synhés d’amateur joués à deux doigts et de tambours grondants (à l’aide maman, je suis effrayée) pendant qu’une figure terne et prophétique entonne des chants funèbres d’une grande portée symbolique. Leper Lord est vaguement tolérable en bruit de fond (musique pour passer l’aspirateur peut-être) mais Dieu (parce que c’est Lui bien sûr) que le texte est tordant. C’est un rêve est un classique dans son genre – ‘où est Klaus Barbie, il est dans le coeur noir’. Ouais, et bien je suis sûre que nos camarades juifs seront grandement confortés par cette nouvelle les mecs.” Helen Fitzgerald, Melody Maker
Jack Barron, au lieu de donner une habitueIle note sur cinq, remplaça les étoiles par cinq points d’interrogation.
“La note est délibéré car c’est le disque le plus difficile que j’ai jamais eu à chroniquer. Comme expérience musicale, Nada! Est uniformèment excellent, mais le stigmate du présumé fascisme hante Death in June, et je ne vise pas à être le second journaliste rock à être un pigeon pour les nazis. La politique vient toujours avant la musique chez moi.” Jack Barron, Sounds
Mais heureusement, certains grattèrent le vernis pour tenter de saisir l’essence du groupe
“Ayant au fond une âme qui préfère les heures de la journée, la vue de crânes et de lames posés sur une tombe dans une crypte comme pour un rituel ne fait rien pour gagner mon amitié, pas plus qu’un coup d’oeil hâtif aux paroles sur la pochette intérieure. Des lignes qui prédisent la ruine. ‘Mon seigneur lépreux, fais pleurer les anges’, ‘Viens à moi dans mes ténébres’, ‘Je tombe dans des champs de viol’, ‘Comme des coquilles vides, comme des cercueils, Mort’. Mon Dieur, dois-je continuer? Je ne pense pas. Mais, et c’est le problème, aussitôt que le diamant toucha ce sillon, le paradoxe commença. Ce qui aurait dû sortir devait être de la musique qui ferait sonner la Marche Funèbre comme Summer Holiday (saluez tous Cliff) mais non! Ce que l’on obtient c’est de la musique qui porte les paroles hors de l’obscurité vers un soleil de milieu de journée. Ce qui est initialement pris par erreur pour le plus noir des cauchemars est en fait la plus douce des rêveries” Abstract
Ce qu’explique ce journaliste répond indubitablement aux attentes de Death in June. Sur la face A est en effet gravé entre le sillon et l’étiquette – “Nous aspirons à plaire dans un malaise constant”
Les grooves notations donnent parfois un aperçu de l’état d’esprit du groupe, sur le single précédent était gravé une vingtaine de fois “NADA”, un nom certainement prémonitoire ; sur Heaven Street était gravé “Le Phoenix S’est élevé” car Pearce considérait à l’époque Death in June comme la continuation logique de Crisis.
Dans un autre article, on reprocha encore à Death In June une image trop morne, pas exactement haute en couleur.
“Cela reflète nos caractères pourtant. Nous ne sommes pas des personnages hauts en couleur, aucun de nous, à part peut-être M. Christ. Mais l’autre point où nous avons été accusés de ceci et cela, c’est un flirt délibéré, réfléchi, avec les uniformes, le militarisme, parce qu’au fond cela nous intéresse tous. C’est un fétichisme dont nous jouons sur scène. C’est très sexuel, une imagerie très puissante” Douglas Pearce
En fait, seuls ceux qui les rencontraient pouvaient décemment donner leurs impressions et amener un point de vue différent.
“En rentrant, Tibet arracha un autocollant du NF (National Front) et le remplaça par un de Current 93. Il doit l’avoir fait pour faire une sorte de mise au point mais il n’en avait pas besoin. J’admire la façon dont DIJ ne donne pas d’excuses. Comme n’importe quel politicien qui onnaît son job, ils n’ont pas recours à des démentis purs et simples ou à de piètres excuses pour parer aux allégations et aux diffamations Des miennes incluses), mais présentent leurs arguments, bien qu’ultra-cynique : vous prenez ou vous laissez.” Tom Vague, Zigzag
Trois mois plus tard, en avril, NER réalisa un 12″ dont le titre principal, Born Again, n’apparaît pas sur le 33 tours, au contraire des deux autres morceaux The Calling et Carousel. Born Again est sans anoure doute la chanson la plus commerciale de Death in June et pourtant l’une des moins connues. Ce paradoxe est dû au fait que les trois compositions étaient l’oeuvre de Leàgas et que Pearce a plus ou moins volontairement oublié Born Again dans ses réeditions en Cd. Sans la parution de ce 12” en picture disc sur le label de Leàgas, cette chanson ne serait appréciée que par les heureux détenteurs du 12” original. Le texte est un exemple parfait de l’écriture anti-chrétienne et pessimiste de Patrick Leàgas
“Le nouveau Death in june, plus sophistiqué, est sur le bon chemin : Born Again aux délices sévères du néo-disco et de la ballade ardente suit leur dernier hit She Said destroy dans un style enfin cadencé” Richard Boon, The Catalogue
Sur la face B on retrouve la version de l’album de The Calling (Mk ID et un remix de Carousel intitulé Bolt Mix. Carousel est avec Born Again l’autre chanson la plus facile de Death In June. On s’étonne aujourd’hui que cette chanson ne soit pas devenue un succès tant elle est proche de nombreux tubes technopop de l’époque. On peut évidemment en imputer la responsabilité au texte de Leàgas
Les diverses radios britanniques n’ont probablement jamais diffusé de pareils textes sur leurs ondes aux heures de hrande écoute. La particularité de Death in june en cette année 1985 est d’avoir tous les attributs d’un groupe underground D’image, les paroles) et pourtant la musique reste abordable par le plus grand nombre. A l’exception de C’est un rêve, l’ensemble de Nada! Est bien loin de la musique industrielle à laquelle on commença à associer le duo.
“Si on dit que c’est commercial, cela veut dire qu’il y a une chance d’aller dans les charts et devenir populaire chez des gens qui aiment Big Country ou The Smiths, mais il n’est pas possible que nous ayons jamais ce genre de choses car le message sous-jacent est trop difficile” David Tibet
Pourtant, si cette remarque ets pertinente, il faut se souvenir qu’à cette époque, Patrick Leàgas pensait que Death in June avait une chance de se retrouver un jour dans les vingt premiers des classements comme d’autres groupes indépendants tels The Cure, New Order ou Echo & The Bunnymen.
She Said Destroy avait été classé single de la semaine dans Sounds et les bonnes critiques (comme les mauvaises, il faut l’avouer) se succèdaient, même si elles regrettaient toute l’imagerie de la formation. Les demandes d’abandonner leurs ornements nazis ou militaires se faisaient aussi pressantes dans la presse nationale que dans les fanzines. Death in June devait, une fois de plus, faire face aux affres des discours lénifiants des journalistes bien pensants
“Alors Death in June, si vous n’êtes pas fascistes laissez tomber cette image, c’est dangereux, enfnatin t fait fuir un paquet de gens ce ce qui est, à part cela, une musique géniale… Elle peut tenir sur ces deux pieds.” Crash
La première partie de la promotion de l’album eut lieu à Londres au Club 100 le 12 mars 85, en compagnie de Current 93 et Annie Anxiety, et à Paris le surlendemain.
L’attitude de la presse anglaise ne variait pas d’un iota et la chronique du concert londonien reposait les sempiternelles “questions” :
“Bien sur, ils pourraient mettre en boîte sans pitié le fascisme et ainsi de suite, mais si c’est le cas ils ont manqué leur but – ils sont simplement trop glamoureux pour être interprétés comme une farce. Ils rentrent dans le moule, avec facilité, bien que oui, je l’admets, ils ont une allure ‘fantastique’. Death in june fait quelque chose d’intéressant, mais je garde mes distances : les autres soupçonneux de nature devraient faire de même. Mr Spencer, Melody Maker
Quatorze mois auparavant, lors de sa précédente visite dans la capitale française, le groupe comportait quatre unités : mais cette année le, le public de l’Iguane n’eut droit qu’à un duo agrémenté d’un Revox pour remplacer les parties de synthé, certains choeurs ainsi que d’autres instruments tels que la trompette.
En guise d’introduction, Death ln June offrit à l’audience une bande où étaient enregistrées des voix auxquelles était mêlé un nouveau texte que l’on retrouvera sur la chanson Blood Of Winter l’année suivante. La totalité de l’album Nada!, à l’exception de Crush my Love, fut ensuite jouée dans des versions forcément proches de celles en studio du fait de l’utilisation du Revox. La performance comprit aussi Till the living flesh is burned, éxécutée entièrement avec des percussions, The Torture Garden et Doubt to nothing dans une interprétation encore plus agréable que sur disque grâce à un harmonica qui donna une étonnante coloration blues à ce morceau. Comme l’année précédente, le public fut surpris par ce groupe hors du commun.
“Les gens ne savent pas toujours comment réagir face à Death in June. Notre musique n’est pas toujours accessible ; par exemple à Londres le 12 mars nous avons bien joué. Mais la réaction du public fut intéressante : plutôt qu’une atmoshère froide, il y avait une non-atmosphère.” Douglas Pearce
La tournée organisée en Italie en l’honneur de le parution de Nada! était à proprement parler la première de Death In June. Jusqu’ici, les escapades hors des alentours de Londres s’etaient limitées à l’Ecosse, à Amsterdam et à Paris. Le choix de l’Italie n’avait rien d’étonnant lorsque l’on sait que les ventes italiennes étaient supérieures à celles des autres pays. Le concert de Venise du 5 avril 85 fut immortalisé par la sortie d’une cassette appelé The White Hands of Death. Une cassette dont seule l’inscription “realiziata col permesso dei Death In June” laissait supposer qu’il ne s’agissait pas d’un enregistrement pirate, car le dessin grossier d’un militaire chargeant à la baïonettte et les titres tapés sur une vieille machine à écrire ne possèdaient pas les mêmes qualités graphiques que les productions NER.
“La personne qui a fait cette cassette est un journaliste appelé Marco Pandin qui a dit qu’elle serait strictement limitée à 200 exemplaires. A cela j’ai répondu oui. Pourtant, chacun dans le monde semble avoir cette cassette alors je ne peux que supposer qu’en fait des milliers furent distribuées. Il y a quelques mois j’ai même eu vent d’un projet de sortie en CD!! J’ai contacté les gens concernés et j’ai heureusement stoppé cette conspiration visant à exploiter DIJ encore un peu plus. C’est une telle merde!!!” Douglas Pearce
Le concert y était précédé par des chansons politiques allemandes d’avant-guerre. La première, Im Gefängnis Zu Singen, est un morceau interprété par Ernst Busch et écrit par Hanns Eisler (collaborateur de Bertolt Brecht et compositeur de l’hymne national est-allemand entre autres). Quant aux titres joués pendant ces concerts, ils étaient à peu de choses près identiques à ceux qu’avait pu découvrir le public parisien. La contrainte du Revox ne permettait pas de changer l’ordre des morceaux. Le groupe essaya malgré tout de briser quelquefois la monotonie comme à Florence où ils interprètèrent Heaven Street au milieu de la soirée, ou a Pérouse où les premières notes qui retentirent furent celles de The Guilty Have No Pride. Ce dernier concert fut aussi l’occasion d’entendre l’ébauche d’une chanson toute empreinte de l’influence de David Tibet :
- “Antechrist Antechrist
- Happy Birthday Pigface Christus!
- Maldoror maldoror”
- Happy Birthday Pigface Christus
Ce morceau, qui resta inachevé, n’a rien à voir, si ce n’est le titre, avec la chanson homonyme de Current 93, à laquelle Pearce allait par ailleurs collaborer.
Cette tournée se révéla être un franc succès. L’accueil réservé au groupe fut surprenant, les fans reprenant en choeur les chansons les plus connues de Death in June.
Le retour en Grande-Bretagne réserva de nouvelles surprises aux amoureux du groupe. Le duo n’était semble-t-il pas la formule idéale car, une fois encore, une séparation se produisit et un nouveau nom s’ajouta au martyrologe.
“Pourquoi laisser quelque chose d’aussi facile que la musique foutre la merde? Va-t’en et fais ce que tu veux! C’est ce que Patrick fait et cela me va, je continuerai. Il va apprendre le côté le plus physique de Death In June, vraiment, jusqu’aux limites, la conclusion logique. La plongée, l’alpinisme, des beaux mecs machos en uniforme!” Douglas Pearce
Derrière cette réaction à chaud de Doug Pearce il faut comprendre que Pat Leàgas venait de quitter DIJ pour rejoindre l’armée.
“Après avoir donné six concerts en Italie, qui nous ont probablement montrés Patrick et moi jouant mieux que jamais, nous nous sommes retournés en Angleterre et il a disparu. A un moment où nous vendions plus de disques que jamais, où nous avions plus d’offres de performances que jamais, où nous avions plus de critiques favorables que jamais, où nous écrivions mieux que jamais, il s’est précisèment essouflé. Au fond, pendant les quelques semaines où Patrick a disparu, tout était en suspens. Pendant que j’étais rempli d’énergie et, ce qui est rare pour moi, d’optimisme, Patrick s’est soudainement éteint. Il semblait épuisé par la situation et quand finalement nous avons eu une rencontre, il fut convenu qu’il devait quitter le groupe. Nous étions tous les deux arrivés à cette conclusion avant même la rencontre. C’était en mai 85. Parce qu’à cette époque nous commencions à vivre grâce au groupe, il y avait des décisions sérieuses à prendre. La position de Death in June devait être consolidée.” Douglas Pearce
De plus, Pearce avait quitté son travail chez Rough Trade pour se consacrer uniquement a sa musique et on comprend mieux son énervement suite à la défection de Leàgas
CeIui-ci expliqua quelques années plus tard son geste :
“Il n’y a pas eu de séparation entre Doug et moi, j’ai laissé Death In June parce que je ne pouvais plus m’identifier au groupe. J’étais en pleine évolution. A l’époque j’avais des problèmes psychologiques et je devais surmonter ces changements. Je ne m’aimais plus et n’aimais plus ce qui menaçait de sortir de moi. C’est pourquoi j’ai préféré partir avant qu’il ne soit trop tard, et je suis content de l’avoir fait. Il n’y avait pas de problèmes entre Doug et moi. Je l’ai toujours respecté. Death In June fut une partie importante de ma vie. Cela m’aide en tous cas à extérioriser les aspects négatifs de ma personnalité et à me purifier.” Patrick Leàgas
“Bien que je ne doute pas que le départ de Patrick soit le fait du destin, je me demande toujours ce qui aurait pu être fait s’il était resté. Nous avons des ‘visions’ similaires. Mais peut-être que j’avais besoin de cette responsabilité en plus de mon ‘MOI’. Death In June a toujours été une ‘identité’ idéologique.” Douglas Pearce
La purge suivait son cours : de quatre membres au début 84, Death In June était passé a un seul. La survie du groupe ainsi réduit à sa plus simple expression se posait clans l’esprit des admirateurs et de la presse.
“Je n’ai jamais été effrayé d’être seul dans la vie, d’être laissé seul dans un groupe. Trop de gens comptent sur les autres pour les soutenir, pour prendre en charge leurs responsabilités. C’est une des raisons pour lesquelles je travaille désormais seul au sein de Death in June. Death in June est Douglas P., parce que Douglas P. est Death in June. Ce n’est pas mon art, c’est ma vie. Si j’ai besoin d’aide je travaille avec d’autres leaders.” Douglas Pearce
Cette spallation ne découlait-elle pas de conflits d’ego dans une situation où différents auteurs/compositeurs devaient obligatoirement trouver des compromis ?
“C’est bon d’avoir trois personnes créatrices dans le groupe, c’est pourquoi les débuts furent si intéressants et excitants. L’ego ne fut jamais un problème. Mais, des attitudes, l’engagement le furent et alors la survie vint en premier. Ainsi Death in June existe depuis plus de dix ans.” Douglas Pearce
“Le concept du groupe était une idée majeure de Douglas. Et maintenant il est Death in June, après le meurtre en série des autres membres du groupe! Considérez cela comme une plaisanterie.” Tony Wakeford
L’AVENTURE SOLITAIRE
“SI JE GLISSE VERS LA SOLITUDE, LE DÉTACHEMENT DES CHOSES ET DES ÊTRES, ET SINON VERS LE RAVISSEMENT MYSTIQUE, DU MOINS VERS LA CONTEMPLATION INTELLECTUELLE, N’EST-CE POINT PARCE QUE CE SONT AUTANT DE PRÉTEXTES POUR FUIR LA VIE ET POUR COURTISER LA MORT.’ PIERRE DRIEU LA ROCHELLE
Après un court silence, Death In June réapparut en novembre 85 avec un 7” et un 12” de Come Before Christ And Murder Love couplé avec un autre inédit : Torture By Roses
Sur la pochette apparaissait un signe mystérieux ; il s’agit de la rune d’Odal inversée. Les runes formaient l’ancien alphabet nordique, qui contenaient toutefois un pouvoir symonlique plus puissants que nos alphabets actuels. Dans sa position initiale, cette rune représente la, propriété, le foyer et la loi de succession.
“Les runes ont toujours eu une place prépondèrante dans l’existence du groupe, et ce depuis le tout début. Dans cette position, et de la façon dont je l’ai utilisée, elle signifie une relation futile, un message perdu. Cependant elle peut aussi causer plusieurs problèmes, elle est dangereuse!” Douglas Pearce
La chanson principale donnait une dimension inconnue à DIJ, celle d’un réel groupe pop, dans le sens beatlesque du terme. Sur ce titre, écrit en 1975, Doug Pearce montrait son amour de la pop sombre ; la trompette n’a ici rien de militaire contrairement aux utilisations précédentes, elle accentue la mélodie. On peut déceler sur Come Before Christ… l’infuence de Love, le groupe d’Arthur Lee, dont le troisème album Forever Changes fait partie des disques préférés de Pearce. Death in June réussit avec ce titre la synthèse des deux principaux styles présents sur Nada! en couplant une guitare sèche et des synthétiseurs. Bien entendu, ce qui différencie ce morceau au titre si long et étrange d’une chanson pop traditionnelle réside dans les paroles, toujours aussi obscures et peu avenantes
Lyrics:COME BEFORE CHRIST AND MURDER LOVE
“Un gros rythme introduit le western spaghetti – un thème de film pour les achever tous – une vraie mélodie, mise en valeur de façon obsédante par la ligne de cuivres, sooulignée par des clochettes, et prête à tout balayer sur son chemin. Une ballade de mauvais garçon garantissant de bonnes ventes en enfer (et au retour)… (ai-je besoin de le dire?) un hit!” Richard Boon, The Catalogue
Ce ne fut pas à proprement parler un hit mais Come Before Christ… obtint le meilleur classement de Death In June dans les charts indépendants avec une vingtième place et cinq semaines de présence, de la dernière semaine de décembre jusqu’à la fin janvier.
Torture By Roses est moins facile d’accès mais, comme la chanson de la face A, donne une impression d’évolution par rapport au précédent album. Cette composition est le premier pas d’une histoire d’amour entre Doug Pearce et l’écrivain japonais Mishima. Le titre lui-même provient d’un recueil de photographies de Mishima réalisé par Eikoh Hosoe et intitulé Ordalie Par Les Roses en français, Torture By Roses en anglais.
La lecture de Mishima provoqua un tel choc chez Pearce qu’il reconnut en l’écrivain un “camarade de tragédie”. Durant cette période. Mishima deviendra une véritable obsession et sa trace réapparaîtra sur le 30 cm à venir. On retrouve ces deux morceaux en juillet 86 sur le double album The WorId That Summer dont le nom est tiré du film éponyme, un long-métrage retraçant l’Allemagne nazie durant les jeux olympiques de Berlin à travers les yeux d’une famille juive, et plus particulièretiicnt ceux du fils, membre du Jungvolk, le mouvement qui a précédé les Hitlerugend.
A l’intérieur de la pochette du 33 tours se trouvent les photos des trois personnes ayant participe à l’enregistrement. Derrière les masques, on reconnaît Pearce, Tibet et Andrea James. Cette jeune femme forme avec David Tiffen le duo Somewhere in Europe et avait rencontré Douglas Pearce lors d’une séance de photos de Death In June.
Ce disque se présente sous la forme d’un double album à cause de Death Of A Man, morceau long de plus d’un quart d’heure et ne pouvant être inclus sur le premier disque. Le deuxième comprend donc Death Of A Man sur une face et, sur l’autre, trois versions instrumentales de titres présents sur le premier disque !
Sous le nom de Christ 777, Tibet signe les paroles des quatre titres de la face B où il cite Crowley (‘Love is the law, Love under will’) et la mythologie scandinave. Quant aux textes de Pearce, ils gardent parfois un côté desabusé irritant :
“J’aime assez l’idée d’une poèsie romantique, sombre, introspective. Cela frappe une partie de moi-même, et je suppose, celle d’autres personnes” Douglas Pearce
Pour Pearce, cet album fut surtout inspiré par les oeuvres de Mishima et Genet
“Pendant des années, j’ai très peu lu parce que je pensais que ce n’était pas assez ‘immédiat’, et je n’avais pas assez de patience ou de concentration pour lire plus que quelques pages. 1980 fut une année de vraie découverte de soi. Je fus initié à ‘l’Amour réel’. On m’a présenté le travail de Jean Genet. On m’a présenté le travail de Yukio Mishima. Cependant, j’ai suelement eu un intérêt superficiel à leur sujet. Ce ne fut pas avant l’été 1985 que leur importance se révéla à moi. Ces deux auteurs me donnèrent une quantité immense de force durant cette période. Une période d’afflcition personelle. Les deux meilleurs livres que j’aie jamais lus sont ‘Pompes Funèbres’ de Genet et ‘L’Ange en Décomposition’ de Mishima. Quand je les ail lus, ils étaient parfaits,. Ils étaient ce que je cherchais – ils m’ont aidé. Ils m’ont illuminé.” Douglas Pearce
Ainsi, si le titre Torture By Roses provient d’un recueil de photographies de Mishima, Death Of A Man est tiré d’un ouvrage identique du même Mishima, mettant en scène différentes façons de pratiquer le seppuku. Mais il fut aussi choisi en souvenir de Genet, décédé deux jours après le début de l’enregistrement de ce morceau. On peut d’ailleurs entendre les voix de ces deux écrivains sur ce disque. La deuxième chanson de l’album intitulée Hidden Amongst The Leaves est également à relier à l’oeuvre de Mishima. Sur cette composition apparaît une chanteuse japonaise s’exprimant dans sa langue. La traduction du titre en japonais est “Hagakure”, l’un des principes de base du samouraï.
Lyrics:HIDDEN AMONG THE LEAVES
Le mélange d’une mélodie froide jouée au synthétiseur et de cette voix féminine crée une atmosphère unique et donne le plus beau morceau de l’album.
Musicalement, Death In June a pris tant d’assurance que ce disque se trouve à des années-lumière de The Guilty Have No Pride : les instruments et les thèmes abordés ne sont plus les mêmes, les musiciens non plus et les points de comparaison sont donc difficiles à établir entre la première et la dernière incarnation de Death In June.
Nada! avait donné l’impression que Leàgas était l’instigateur du côté électronique de Death In June et Pearce celui de la face acoustique. Pourtant The World That Summer contient plusieurs chansons d’inspiration techno comme Blood Victory, une attaque féroce de la religion chrétienne écrite par Tibet
Rule Again, la chanson la plus enlevée de l’album, s’appuie aussi sur une forte base électronique. L’un des points forts de ce titre, qui est également celui de Rocking Horse Night, réside dans la présence de trois timbres bien distincts mais malgré tout complémentaires : la voix féminine de Andrea James, la voix grave de Douglas P., et celle plus nasillarde de David Tibet. Aujourd’hui cependant, cette chanson a quelque peu subi l’usure du temps et demeure trop ancrée dans I’esprit des années 80. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la version présente sur The World That Summer n’a jamais été rééditée.
Deux autres titres de l’album n’ont jamais eu l’occasion d’être enregistrés sous leur forme originale sur CD : Break The Black Ice et Love Murder. La décision de réenregistrer Love Murder et de laisser la version intiale aux oubliettes est toutefois compréhensible à l’écoute de la voix déformée de Pearce. CeIle-ci, mièvre à l’extrème, gâche le texte le plus ambigu de l’album.
Une autre forme d’ambiguïté réside dans une chanson comme Rocking Horse Night où malgré la présence d’une boîte à musique, I’ambiance est sciemment inquiétante.
“Le but est d’avoir une esthétique de film d’horreur, mais quelques souvenirs de l’enfance peuvent être terrifiants” Douglas Pearce
La face C compile donc trois morceaux instrumentaux intitulés Reprise #1, #2 et #3. Derriere le numéro 1 se cache Rule Again, et ensuite respectivement Break The Black Ice et Blood Victory. Etant donnée que ces versions sont identiques à celles présentes sur le premier disque, si ce n’est la disparition des parties vocales, quel en est donc l’intérêt ? La seule réponse visible est le besoin de combler une face vide du double album !
En effet, de l’autre côté, Death Of A Man s’affirme comme un titre épique. Si Death In June avait déjà flirté avec la musique expérimentale, c’était toutefois un pari osé que tentait là Douglas Pearce. Dans le même esprit que David Tibet avec Current 93, il utilisait la technique du collage en associant des percussions pesantes, aussi régulières qu’un métronome, à des bruits de combats auxquels se joignent des cris de chimpanzés, les voix de Mishima et Genet, et le texte de Pearce récité d’un ton encore plus solennel qu’à I’habitude :
Malgré des défauts évidents, ce double album marque dans son ensemble une évolution nette par rapport à Nada!. les compositions sont mieux maitrisées, l’équilibre entre les différents styles plus stable. La pochette noire, ornée de roses en relief et de deux cercles blancs au centre desquels se trouvent la Totenkopf et la rune d’Elhaz, aurait pu laisser supposer un disque dur et atrabilaire. The World That Summer est pourtant un album plus lumineux que ses prédécesseurs, plus abouti également.
La rune utilisée représente la vitalité, l’abri, la fortune. Dans sa position normale, elle marque la date de naissance et dans sa position inversée celle de la mort. La pochette du double album joue donc avec le yin et le yang, l’équilibre entre la vie Da rune) et la mort De crâne).
“La rune d’Elhaz dont je me suis servi m’est très étroitement liée (ainsi qu’avec les deux membres originaux de Death In June) et cela depuis le tout début. Elle peut signifier la protection, la vie mais sa signification est beaucoup plus complexe que cela. Elle peul se rapporter à la vie des gens. Mais cela sera difficile. Ce n’est pas le chemin le plus facile à suivre. Mais la destination finale peut être compensatrice. Elle peut aussi avoir comme résultat ta propre destruction si tu ne peux supporter l’épreuve” Douglas Pearce
Les runes furent présentes dès les débuts du groupe même si elles n’étaient alors pas apparentes et Tony Wakeford portait toujours sur lui une rune de vie dans les premières années de Death In June.
“Il y a certains éléments du passé, par exemple les runes, pour lesquels je porte un intérêt particulier parce que je sens que je fais partie du nouvel éveil de la conscience européene. Un nouvel éveil qui a progressivement pris place depuis l’avènement du fascisme en Italie et en Allemagne. Il est triste que cela ait été lié à une quantité massive de sang coulé en Europe.” Douglas Pearce
Ce fût en fait la présence de David Tibet, fervent adepte des sciences occultes et de la tradition runique, qui l’encouragea à s’engager plus serieusement dans cette voie. Pearce se lança alors dans la magie et développa une certaine philosophie du destin. Le nom de Death In June, rappelez-vous, avait été ‘envoyé par la destinée’.
“J’ai toujours eu un sens très fort de la destinée, mais accompagné par le sentiment qu’on peut manoeuvrer à un certain degré dans cette structure. Cela correspond avec l’idée païenne nord-européenne du Wyrd. Par conséquent, je me sens plus d’affinités avec quelques unes des anciennes croyances païennes qu’avec n’importe quelle religion établie d’aujourd’hui” Douglas Pearce
En effet, si l’attitude de Death in June vis-à-vis du christianisme fut majoritairement proche du blasphème, il y eut toujours une dimension mystique dans les réalisations du groupe.
Pourtant, il élait surprenant de voir un londonien se rapporter à la mythologie nordique plutôt qu’à la tradition celtique.
“Etant Anglais, j’ai évidemment du sang celtique. Ma famille immédiate est composée d’Irlandais, d’Ecossais et d’Anglais. Si vous voulez décrire les celtes comme un clan, c’était effectivement un des clans les plus importants d’Europe. Pour ma part, je m’intéresse autant à la culture et à l’histoire celtiques qu’à la culture et à l’histoire nordiques. L’Angleterre est toujours ce mélange de culture et d’histoire, alors tu ne peux avoir que de l’intérêt au mélange des cultures.” Douglas Pearce
Les réactions de la Presse étaient diverses : certains étaient exaspérés par le ton de l’album, d’autres y voyaient une expression artistique digne d’intérêt et surtout notaient le changement musical.
“Mishima rencontre Genet, et le résultat est une tristesse absolue! Aisément le plus puissant et chargé de connotations des disques de DIJ.” David Tibet, The Catalogue
Mais, ce journaliste pouvait-il décemment dire du mal de Death In June? Le doute ne plane plus depuis longtemps. Ce disque obtint également une critique proche de la dithyrambe dans Sounds
“Si, comme cela était mon cas, vous avez conçu une image mentale claire de Death In June sans avoir entendu leur travail, alors vous allez avoir une surprise (partiellement) agréable. (…) La face 3 consiste en un seul morceau, un collage spectaculaire intitulé Death Of A Man. C’est un art qui – comme la philosophie – est souvent exécuté, mais rarement bien exécuté, et Death In June le fait mieux que quiconque.” Andy Hurt, Sounds
L’été 86 fut prolixe car le mois suivant Douglas P. exhuma les restes du Death In June initial avec Lesson 1 : Misanthropy. Cette compilation regroupe les deux premiers singles dans leur intégralité, trois morceaux de The guilty Have No Pride et deux de Burial. Elle permit à ceux qui avaient pris le train en marche de découvrir quelques chansons qui n’avaient pas subi de manière égale les outrages du temps.
“Le propos de cette compilation est de rassembler sur un disque du matériel du début, rare et épuisé de la première incarnation de Death In June, pour mettre de l’ordre dans l’histoire!” Extrait de la pochette
La couverture montre pour la première fois Pearce, Wakeford et Leàgas à visage découvert. Jusqu’ici, les divers membres de Death In June avaient été dos tournés sur Nada!, et masqués sur The World That Summer. Les personnes n’ayant jamais assisté à leurs performances, au vu du peu de photographies publiées dans la presse, ignoraient pour la plupart à quoi ils pouvaient ressembler. De plus il existe très peu de portraits de Leàgas avec ses acolytes car il refusait aux débuts de Death In June de se laisser photographier en affirmant que c’était non seulement inutile mais aussi en contradiction avec sa conception du groupe.
Durant cette année 1986, David Tibet, chassé du squat où il résidait, emménagea dans la cave d’une vieille et grande maison victorienne du nord de Londres qui appartenait à Freya Aswynn. Elle lui avait été présentée par Hilmar Orn Hilmarson (alias HöH) de Psychic TV en tant que prêtresse d’Odin. Peu de temps après, Douglas Pearce le rejoignit. Ainsi, après que Tibet ait largement participé à l’élaboration de The World That Summer, Pearce écrivit les musiques du nouveau 12″ de Current 93 Happy Birthay Pigface Christus. Le changement était radical par rapport aux disques précédents de Current 93 ; il n’y avait là ni longues improvisations ni expérimentations, seulement des chansons jouées a Ia guitare acoustique et des chants de Noël ou d’anniversaires. Pour la première fois, Tibet chantait sur un de ses disques. Des amis de Tibet tels que John Balance, Rose McDowall et HöH, tous rencontrés par l’intermédiaire de Psychic TV, ainsi que Bee et Steven Stapleton participèrent à l’enregistrement.
Ce maxi étant l’une des plus belles réussites de Current 93, un album devait suivre.
“Avec un exemplaire de Finnegan’s wake sous un bras et une poupée de Oui Oui sous l’autre, j’ai réuni deux amis, Douglas P de Death In June et Rose McDowall de Strawberry Switchblade pour enregistrer un lbum pop, en espérant la conjonction parfaite entre Arthur Lee (Love) et Buck Dharma (Blue Oyster Cult). Comme je devenais de plus en plus déprimé et que j’étais sur le point de partir pour l’Islande, l’album était un mélange étrange. Je prenais beaucoup beaucoup beaucoup de speed et je buvais énormèment. J’étais très intéressé par le domaine des runes. Cela m’obsédait assez. Je ne savais pas vraiment ce qui arrivait. J’ai un sens de l’humour maniaque. Swastikas For Noddy en est un produit. Je pense que c’était une derrière explosion d’énergie avant Imperium.” David Tibet
Swastikas For Noddy est en effet un album surprenant, qui contient aussi bien des ambiances celtiques, des chansons à la guitare acoustique, qu’une petite musique stupide de fête foraine, connue comme le thème de Oui-Oui, et dont on se demande l’utilité.
“Je pense que les raisons motivant l’utilisation de ce thème sont absolument sérieuses. Oui-Oui est une figure très sérieuse et sinistre. Il n’y a rien de ‘stupide’ à propos de cette chanson.” Douglas Pearce
Déjà sur la photo du 12″‘, David Tibet apparaissait avec un tee-shirt de Oui-Oui, le personnage pour enfants qui semblait alors l’une de ses obsessions.
“Je ne suis pas très intéressé par Oui-Oui, mais une nuit, chez Rose McDowall, j’ai pris de l’acide : j’étais sur le toît de sa maison, et j’étais ‘blebleblebleb’, soudain je vis un grand Oui-Oui crucifié dans le ciel! Ouah! Donc le lendemain matin j’ai acheté tout ce que je trouvais sur Oui-Oui. C’était en 1985. Je ne prends plus de drogue, et je suis complètement contre. Parce que si tu en prends tu as des visions très stupides comme Oui-Oui crucifié, ce qui n’a aucun sens. C’est du gaspillage de temps.” David Tibet
Mais, la parution de cet album sur le label belge LAYLAH Antirecords, qui avait réalisé le 12″ Happy Birthday Pigface Christus, fut retardée, si bien qu’il fut devancé par les LPS suivants, Dawn, un album aussi industriel que Ies précédents mais que récuse Tibet aujourd’hui, et Imperium, autoproduit par Tibet.
“A l’époque de Imperium, je vivais en Islande. Avant d’aller en Islance, j’étais assez malade et quand je suis arrivé j’étais si malade que j’ai du aller à l’hopital. Ils suspectaient qe je pouvais avoir pas mal de choses vraiment déplaisantes : cancer du cerveau, hémorragie cérébrale ou sclérose multiple. J’étais là depuis un long moment et je suis revenu à Londres pour un break de deux semaines, après des tests. Je ne savais pas ce qui arrivait. Je devais donner un coup de fil en Islande, et comme vous pouvez l’imaginer, j’étais très déprimé et très inquiet pour le futur. Et c’est là que j’ai fait Imperium” David Tibet
Ce disque reste aujourd’hui comme le témoignage d’un homme se sentant en déréliction, proche de devoir affronter la mort, un disque qui peut être effroyable pour quelques personnes, celui où Tibet écrit que “la mort est préférable à cette vie inutile” ; un recul est assurément nécessaire pour parfaitement l’apprécier.
“J’ai commencé à être très religieux quand j’ai cru que j’allais mourir. Je lisais la Bible comme s’il n’y avait pas de lendemain. La première face de Imperium, c’était juste moi avec des bandes et des samples : tout cela avec un feeling très dépressif. L’autre face était plus rythmée dans le sens qu’il y avait des guitares et des structures de chansons, mais toujours vraiment dépressif. Peut-être que cela aurait pu être mieux, mais c’est instantané parfait de mon état du moment – qui était réellement terrible.” David Tibet
L’influence biblique se ressent particulièrement sur Imperium IV qui est un résumé de la vie de Jesus Christ ou sur Or, où Tibet réarrange des versets. Une comparaison entre cette chanson et un passage de la Bible est instructive
“Les cieux seront ébranlés, les étoiles tomberont sur terre, le soleil sera coupé de moitié comme la lune, la lune ne donnant plus sa lumière” Or
“Mais dans ces jours, après cette détresse, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées.” Marc XIII, v24-25
Current 93 fut accusé, tout comme Death In June, d’être un groupe néo-fasciste avec cet album. Ces accusations provenaient du titre Imperium qui faisait référence au fascisrne italien. C’est Mussolini, lors du Quatrième Congrès du Partito Nazionale Fascista, qui parla du “bloc granitique du fascisme”, de la “volonté combative totalitaire” qui désormais affirmerait son mépris du pacifisme et sa résolution de créer un imperium. Il y avait de plus la chanson Or où l’on entendait en fond le Horst Wessel Lied dont on reparlera plus loin.
“Imperium parle de textes religieux, bibliques et gnostiques. Cela s’est mélangé avec le concept de pouvoir politique. Les gens cherchent le pouvoir, et le Horst Wessel Lied est très émouvant, vraiment. Le pouvoir arrive à ces gens et meurt. C’est pour cela que je l’ai utilisé. Et une voix intervient, parlant de religion, qui dit ‘et vous allez tous mourir’. Ne suis pas le côté sombre de ton coeur, parce qu’il te détruira.” David Tibet
De même qu’avec Dawn, le travail de Douglas P. sur cet album fut bien entendu moins important que sur Swastikas… Celui de Tony Wakeford, dont on entend la basse sur Or ou Alone, est en revanche plus remarquable. Avec ces enregistrements, Wakeford revenait à Ia musique après plusieurs années de silence.
Les deux furent présents en 1987 sur Christ And The Pale Queens Mighty in Sorrow et le 12″ tiré de la même session The Red Face Of God. Ce double album à trois faces, la dernière étant gravée par Steven Stapleton, perpétue les climats dépressifs de Imperium tout en retrouvant un côté plus expérimental. Seulement 666 exemplaires du 12″ et 93 du double album furent tirés! Une édition très “Iimitée”!…
Se rétablissant, Tibet réalisa un 12″ gag et techno-pop en duo avec HöH : Crowleymass, ainsi que le mini-LP des Aryan Aquarians, une autre partie de rigolade enregistrée avec HöH et Niki Mono entre autres.
LA QUÊTE DE PURETE
“IL FAUT PRENDRE CONGÉ DU MONDE AVANT QU’IL NE S’EFFONDRE. BEAUCOUP LE SAVENT DÉJÀ ET UN SENTIMENT INDICIBLE REND BEAUCOUP DE GENS POETES.” HUGO VON HOFMANNSTHAL
Mai 87 vit la parution de To Drown a Rose, un 10″ dont la pochette représentait un membre des Waffen SS tiré de force avec une fourche du fossé entourant le camp de Dachau.
“J’aime beaucoup la façon dont le titre et l’image entrent en conflit. J’aime aussi l’ambiguïté du résultat. Cela cause l’intérêt. Cela provoque” Douglas Pearce
Sur ce support inhabituel étaient enregistrées trois chasons empreintes d’une atmosphère différente, bien que la musique soit dans la continuité de The World That Summer. La présence de nouveaux collaborateurs en était la principale raison. Ainsi, à David Tibet se sont joints pour cette session Rose McDowall, John Balance, Jan O’ et Gary Carey, le leader de Joy Of Life.
“J’ai rencontré Douglas P grâce à Tony Wakeford que je connaissais vauement, car nous avions un ami commun. Quant Douglas apprit que je jouais dans un groupe, il vint nous voir. Comme il aima ce que nous faisions, il nous invita à enregistrer un mini-LP (Enjoy). Douglas me demanda de l’aider et comme je n’avais rien d’autre à faire à l’époque, j’acceptais volontiers, d’autant plus que j’avais toujours voulu travailler avec DIJ.” Gary Carey
Comme à l’accoutummée, les invités sont présents sur certains titres, mais pas sur la totalité d’un album, ou en l’occurence, d’un EP. En fait, il n’existe pas de chansons sur lesquelles toutes ces personnes sont présentes enl même temps au point même que quelques uns des participants ne se sont jamais rencontrés.
Si Andrea James avait chanté sur quelques morceaux de The World That Summer, jamais elle n’avait été aussi présente que Rose McDowall sur To Drown A Rose : un duo où sa douce voix est pratiquement prédominante. Après avoir été batteur d’un groupe punk dès 1978, elle fut l’une des deux chanteuses avec Jill Bryson de Strawberry Switchblade, formation responsable d’un seul et unique album du même nom en 1985. D’après les frères Reid de Jesus & Mary Chain, Strawberry Switchblade était le meilleur groupe de Glasgow mais leur album était une déception. On ne peut qu’être d’accord avec leur deuxième assertion à I’écoute du dit album. Un disque de pop gnangnan de l’acabit de Bananarama ou de tout autre “artiste” de variété. On peut parier que les admirateurs de Death In June faisaient certainement partie des premiers détracteurs de ces deux charmantes jeunes filles. Sur Swastikas For Noddy, Current 93 reprend Since Yesterday et la première chanson de l’album Strawberry Switchblade est tellement meilleure dans cette version épurée que l’on comprend que la production soit coupable d’avoir saboté ce qui aurait pu devenir un bon disque de pop.
La formule du duo ayant visiblement plu à Pearce, il récidive avec Europa The Gates Of Heaven où John Balance de Coil prête sa voix à une chanson d’un style nouveau pour Death In June, sans doute plus proche de Coil – bien qu’il soit difficile d’associer Coil à un genre précis, ce groupe ayant, comme Death In June, abordé bon nombre de musiques diverses.
Lyrics:EUROPA THE GATES OF HEAVEN
Pour Zimmerit, la voix de Rose McDowall, utilisée en fond, donne une consonance enchanteresse à ce qui peut être considéré comme une chanson d’amour :
Ce disque ne récolta que peu d’articles mais le ton était globalement favorable :
“Subtil (spécialement le morceau de la face A) et intelligent. Poignant même, et digne de bien se vendre (s’il n’a pas été perdu derrière les 12” disco-remix naturellement). Sombre, grand, séduisant, etc…” Richard Boon, The Catalogue
Pour Douglas P, cette nouvelle réalisation lui donnait l’occasion de faire le point sur les différents styles musicaux qu’avait abordés Death In June :
“Actuellement, je suis tourné vers l’acoustique car cela me semble plus pur que l’électronique de l’époque précédente, celle de Nada!. Lorsque j’ai fait le maxi Born Again, c’était pour prouver que je pouvais aussi faire du commercial, mais cela ne signifiait rien d’autre..” Douglas Pearce
Bien que terminé en mars 87, l’album Brown Book ne fut publié qu’en septembre de la même année. Les amis présents sur le 10” se retrouvaient tous sur ce 33 tours, rejoints pour les choeurs par Bee de Into A Circle et Ian Read qui appartiendra bientôt à Sol Invictus.
Les polémiques quant aux prises de position politique de Death In June avaient en partie disparues avec The World That Summer mais réapparurent avec ce LP : sur le rond central on voit deux officiers nazis, à l’intérieur se trouve un encart avec la photo d’un soldat allemand. De l’autre côté sont reproduites les paroles dont certaines laissèrent perplexes. De plus, sur Runes & Men est diffusée en fond sonore la voix du nazi Adolf Wagner. Quant à la chanson donnant son titre à l’album, elle n’est en fait que le chant de ralliement des SA, le Horst Wessel Lied (Horst Wessel était un ancien voyou devenu chef de section SA qui trouva la mort lors d’une bagarre contre des communistes).
“Le titre Brown Book et l’hymne nazi utilisé pour cette chanson furent, à l’origine, utilisés en raison de leurs natures contradictoires. Le titre Brown Book fut inspiré par le livre est-allemand du même nom qui dresse la liste des nazis et des criminels de guerre travaillant pour le gouvernement ou ayant un poste important dans une compagnie d’Allemagne de l’Ouest. L’hymne en question est le Horst Wessel, la ‘chanson de guerre’ des Chemises Brunes et l’hymne national non-officiel de l’Allemagne nazie.” Douglas Pearce
L’utilisation de ce morceau entraîna des problèmes chez Rough Trade Deutschland, le distributeur allemand de New European Recordings. En effet, il était toujours interdit de promouvoir, distribuer ou diffuser des chansons nazies dans ce pays. Pearce dut à nouveau se justifier et démontrer qu’il ne faisait pas partie d’un quelconque mouvement extremiste
« Je n’ai rien à voir avec le National Front de ce pays. Je me fous de l’ignorance et du fanatisme. La plupart de ses membres sont les gens les plus stupides de la population : mais une fois de plus, combien de personnes valent encore quelque chose dans la population anglaise ? Pas beaucoup. Ce n’est pas une question de couleur de peau mais d’une mentalité, de façon de se comporter en tant qu’homme, et très peu comprennent ceci. Je pense qu’aujourd’hui, il y a de plus en plus de gens inhumains, d’existences inhumaines, et ce sont ceux là qui prennent le dessus. Les gens intelligents vont être de plus en plus minoritaires. Et pour eu ce sera de plus en plus dur d’exister dans ce monde que nous connaissons actuellement. Le National Front est fondé sur des émotions rudimentaires : la peur, le fanatisme et les préjugés » Douglas Pearce
Il fut même considéré comme un admirateur de Oswald Mosley, le leader du mouvement extrémiste britannique les Black Shirts dans les années 30.
« Je n’ai pas vraiment d’opinion sur Oswald Mosley, bien que j’ai entendu il y a quelques semaines une émission de radio avec sa femme et sa musique qu’elle emmènerait si elle avait le choix sur une île déserte. Il y avait surtout du Wagner et des marches militires allemandes et elle parlait sans cesse de Hitler et de gens comme Himmler, Goering et Goebbels et combien ils étaient amusants et drôles dans les fêtes et comme ils étaient en fait mal compris. C’était le truc le plus bizarre que j’ai jamais entendu en prenant mon petit-déjeuner. Cela devenait de mieux en mieux ! Elle était soit complètement folle ou elle était délibérément provocatrice. De toute façon, la BBC a été inondée de plaintes ensuite. » Douglas Pearce
Toutes les prises de position de Pearce étaient forcément scrutées attentivement, certains n’attendant seulement que le jour où “il se trahirait”.
Ces mêmes personnes virent dans un titre comme Hail ! The White Grain un manifeste raciste. Pourtant rien dans ces paroles ne le laisse supposer
“L’album est à l’intersection de l’occulte, du fasciste, de l’(homo)érotique et sollicite Ia raillerie et le rejet.” Paul Oldfield, Melody Maker
La controverse repartait de plus belle et la presse ne semblait guère se soucier du contenu musical. Le renouvellement par rapport à l’album précédent était pourtant notable. L’éIectronique disparait presque complétement, de même pour les trompette (à l’exception de celles de To Drown A Rose qui réapparaissait sur ce disque) : les deux grandes lignes de Brown Book étant l’acoustique et l’expérimental.
L’ouverture est effectuée par Heilige Tod, un titre interprété a cappella par Rose McDowall et John Balance où ils se contentent de répéter ces ceux mots : « Mort Sacrée ». Ce prologue sera le seul extrait de Brown Book à ne jamais être réédité. Suivent alors des morceaux expérimentaux tels que Red Dog Black Dog ou We Are The Lust, un remix de Europa : The Gates of Heaven ne comprenant plus que le chant de John Balance
Et plusieurs chansons jouées a la guitare acoustique parmi lesquelles on pourrait citer Touch Defiles et The Fog Of The World qui contient des paroles empruntées à Jean Genet :
Il faut souligner que le titre lui-même, Le Brouillard Du Monde, provient de Pompes Funèbres de Genet. Dans cet ouvrage, on retrouve également les “32 plis” cités dans To Drown A Rose, qui sont une référence métaphorique à la sodomie.
A la lecture de ce livre, il paraît évident que le style de Genet est devenu une influence majeure pour Pearce. Ils possèdent tous deux le même lyrisme, la même “poésie sombre”.
Les deux derniers titres, Punishment Initiation et Burn Again, sont interprétés par David Tibet, bien que les paroles soient I’oeuvre de Pearce. Ce sont en tout quatre morceaux non-instrumentaux, en comptant Heilige Tod et We Are The Lust, où Pearce n’intervient nullement au niveau du chant.
La notion principale que revendique Pearce dans Brown Book est celle de puret. Il annonça à l’époque de sa sortie que cet album était sans conteste le plus pur. La présence de la voix séraphique de Rose McDowall, le retour à des formes épurées, après l’utilisation de nombreux instruments pour The World That Summer – trompette ou castagnettes – sont révélateurs de cet état d’esprit, de cette volonté de trouver la perfection dans sa forme absolue.
“Brown Book possède une beauté sinistre et capture l’essence de Death In June. Ecoutez et soyez infectés. Ecoutez et comprenez le Heilige Tod. “ JRP, The Catalogue
JRP, qui est par ailleurs employé chez NER, exprime ici le dessein de Pearce. La pureté qui est recherchée dans les chansons se retrouve de la même façon dans le packaging.
“Je suis responsable de toutes les pochettes, de leur conception à leur manifestation. Chaque pochette reflète correctement la période de développement et d’expérience dans laquelle nous/je nous trouvions à cette époque. Pour moi, les pochettes de To Drown A Rose et Brown Book ne pouvaient être plus parfaites. Brown Book est mon travail le plus pur à ce jour, et son emballage en rend bien compte. C’est la meilleure pochette. “ Douglas Pearce
Celle-ci est encore une fois gaufrée, d’une teinte claire tirant à la fois vers le brun et le vert d’où se détachent la Totenkopf et le titre de l’album en lettres d’or. L’esthétique réside dans la simplicité.
Depuis les débuts de Death In June, Pearce fut l’élément le plus impliqué dans tout ce qui peut entourer la musique, aussi bien l’habillement que les bandes diffusées en préambule des concerts. Il reçut pourtant quelques années auparavant, vers 1983-84, un renfort en la personne de Chris Jenner.
“Chris Jenner nous a aidés à projeter des films et des diapositives durant quelques concert de Death In June. Il ne faisait pas vraiment partie du groupe bien qu’il y collabora de manière très brève mais néammoins créative. Je crois qu’il est allé travailler avec le groupe Laibach, et c’est même lui qui a crée leur image à la Death In June. “ Douglas Pearce
La phrase clé de l’album est cette fois-ci “C’est la Peste De Notre Epoque, que Nous Combattons dans l’Isolement”. Death In June s’avère de plus en plus comme la déclaration de guerre de Pearce au monde moderne. Si cette déclaration avait pu être faite dès les débuts du groupe, Pearce était tout de même conscient que le Death ln Jlune de 1987 n’avait plus grand chose en commun avec celui de 1981.
“Depuis peu, je me sens très mal à l’aise vis-à-vis du nom Death In June. Il y a à la base deux raisons pour cela : la première, c’est que j’éprouve une répugnance pour la mort, et le fait que ce mot soit mentionné dans le nom de mon groupe me déplaît. La seconde, c’est que l’idée originale cachée derrière ce nom (qui nous est venu de toute façon par hasard) semble avoir peu de rapports avec le concept du groupe actuel. “ Douglas Pearce
Le même mois eu lieu – pour la première fois – la sortie d’un disque de Death in June sur un autre label que New European Recordings. En effet, Oh How We Laughed, l’enregistrement du concert au Kings College de Londres en mai 82 fut produit par Eyas Media Ltd. le label de 6 Comm, le tout nouveau groupe de Patrick Leàgas (qui se faisait désormais appeler Patrick L. O’Kill).
“L’enregistrement fut offert à NER pour le réaliser, mais ils ont refusé. Eyas Media a alors décidé d’enregistrer ce disque. Cette décision a cause quelques controverses et ce LP sera rapidement épuisé. “ Martin Parker, manager de Eyas Media
Pourtant, Ies faits démentiront cette dernière assertion. Les publications des interminables éditions de ce disque (six sont à ce jour recensées), ainsi que sous format de picture disc du 12″ Born Again, eurent le don de provoquer le courroux de Pearce.
“Je n’ai jamais été au courant d’aucune des sorties sur Eyas Media, alors elles sont toujours venues comme des surprises. Je n’ai jamais reçu le moindre penny pour aucune d’entre elles. Je pense que Patrick a ses raisons (sa survie) pour faire de telles choses mais je pense que ç’aurait pu être fait avec un peu plus de Respect ! Nous aurions au moins pu être consultés à propos de ces parutions” Douglas Pearce
Le concert en lui-même, le deuxième de leur histoire, donne une bonne impression de l’incarnation originelle de Death In June, bien que la qualité sonore laisse à désirer. Heureusement, la version CD offre un meilleur son.
Le disque s’ouvre sur des accusations du juge Roland Freisler, le président du Tribunal du Peuple (Volksgericht). Après avoir été prisonnier de guerre en Russie lors de la première guerre mondiale, il devint un fervent bolchévique et admira alors la terreur soviétique. Devenu nazi en 1921, il continua à étudier les méthodes slaves, en particulier les procès de Moscou. Arrivé au pouvoir, il appliquera les procédés soviétiques en matière de procès au système judiciaire allemand. Hitler affirma que “Freisler est notre Vichinsky”. L’enregistrement ici présent provient d’un des procès de la grande conjuration qui extermina de nombreuses personnes ayant de plus ou moins loin participés à l’attentat contre Hitler. Mais, la première chanson du disque se rapportait à un autre événement historique
- “Soon to die and
- Be betrayed
- Soon to die in
- Shallow graves
- The night of the knives
- The night of the long knives”
- (Knives)
Le sens de cette chanson est beaucoup plus évident dans cette version que dans celle présente sur The Guilty Have No Pride, mais Death In June n’aime ni les truismes ni les repères trop criants, et enregistra à la place Till the Living Flesh Is Burnt
Cet album réussit l’exploit d’être un résumé parfait des deux premières années de Death ln June car il comprend toutes les chansons enregistrées sur les trois disques parus durant cette période! C’est à dire les trois chansons du 12″ Heaven Street, les deux du 7″ State Laughter et les quatre dernières de The Guilty Have No Pride. En tout et pour tout neuf morceaux seulement !
Un dixième titre, l’instrumental How We Laughed, clôture ce LP mais il ne semble en aucun cas avoir été joué en direct : il donne l’impression de ne pas être autre chose qu’un appel commercial, le rôle de la chanson inédite étant primordial dans ce genre de compilations.
Sur la pochette, Leàgas fait le point sur Death in June et annonce qu’il est dorénavant 6 Comm, que Douglas Pearce reste Death In June et que Tony Wakeford joue dans Sol Invictus.
Dans la même dérnarche mercantile, Leàgas édita plusieurs cassettes de concerts de Death In June, ainsi qu’une autre plus intéressante intitulée Archive. Assemblage de démos et d’extraits de concerts allant de 1980 a 1983, Archive contient quelques titres inédits et des versions légérement différentes d’enregistrements connus.
Speeches est annoncé comme du pré-Death ln June et, Iogiquement, est musicalement proche de Crisis ou de Runners From 84. La formation présente regroupe Wakeford, Leàgas et Butler, ce qui veut dire qu’il s’agit en réalité d’une chanson des Runners From 84 rejoints dans leurs derniers instants par Tony Wakeford.
Les morceaux des trois premiers disques sont tous présents à l’exception de State Laughter et Holy Water. Les démos ne sont cependant pas foncièrement dissemblables, sauf celle de We Drive East car on n’y entend plus que la seule voix de Tony Wakeford au lieu des deux présentes dans la version finale. Pour l’anecdote, Heaven Street est appelée Himmel Strasse. Cela signifie-t-il que le groupe a traduit en anglais le titre initial de cette chanson, ou bien doit-on y voir une plaisanterie de Leàgas ?
La deuxième partie de la cassette, enregistrée après le départ de Wakeforfd, montre bien le nouveau visage de Death In June. Les deux premières chansons sont des inédits sans titres. Les deux gardent la même instrumentation qu’avant la séparation et ne se distinguent pas réellement de l’incarnation précédente. Que ce soit l’instrumental ou l’autre, aucun n’arrive a décoller et l’on comprend que ces chansons soient restées quelques temps dans des placards. De toute façon, leur son est trop proche du Death In June de The Guilty Have No Pride, donc trop éloigné de celui de Nada! pour avoir été enregistrées à l’époque.
Il est nécessaire d’avoir une très bonne oreille pour saisir quelles sont les changements entre les démos des chansons restantes et leurs équivalents vinyliques. Pleasant Intermission placé entre The Torture Garden et The Calling n’est pas un inédit mais, comme son titre l’indique, un intermède qui démontre l’amour que porte Death In June à la Musique militaire.
En octobre, Douglas P. fit son grand retour sur scène en Italie et en Suisse, non pas pour la promotion de Brown Book comme on aurait pu le supposer, mais en compagnie de Tony Wakeford et David Tibet en tant que guitariste et percussioniste de Current 93. Pour ces quelques concerts, le set était composé essentiellement de chansons de l’album encore inédit Swastikas For Noddy, mais aussi de titres de Imperium et de Christ And The Pale Queens Mighty In Sorrow, qui comme Swastika.. n’était pas encore sorti. Le groupe accomplissait en plus une reprise de Death In June, Behind The Rose (Fields Of Rape), une composition de Pearce et Tibet, que Douglas P. chantait. On le retrouvait aussi au chant sur Angel, une chanson de Swastikas For Noddy.
1988 fut une année de repos pour Pearce épuisé par l’acouchement difficile de Brown Book. Il participa tout de même aux concerts de Current 93 en Islande au mois de Février.
Cette année vit aussi la parution de Dark Days, la deuxième cassette de Somewhere In Europe, le groupe de David Tiffen et Andrea James qui utilise comme support la bande car “si tu n’aimes pas la musique, efface la et réutilise la cassette”. Douglas P. apparaît sur un titre, London Bridge, sur lequel il chante, joue du synthé et de la guitare. Il est à noter qu’un autre morceau appelé Blood Of Martyrs est en fait une reprise de Rule Again.
“Quand Douglas commença à travailler sur The World That Summer, il fit plusieurs démos de certaines de ses chansons sur un 4 pistes. La version de Rule Again qui apparaît finalement sur l’album est différente de la démo. Nous préférions la première version et nous pensions qu’il serait intéressant d’essayer de créer notre propre interprétation de cette chanson.” David Tiffen
Swastikas For Noddy de Current 93 sortit en novembre 88, un album en grande partie composé par Douglas Pearce. L’association Pearce aux musiques/Tibet aux paroles ayant donné satisfaction sur les disques de Death In June, il était évident qu’elle se poursuivrait dans le cadre de Current 93.
En décembre 88, Death ln June prit la direction du Japon en compagnie de Current 93 et Sol Invictus pour se produire en concert. Etant seul depuis plusieurs années, Douglas P. fut obligé d’attendre une circonstance favorable pour renouer des liens avec son audience.
“Je trouve que jouer en public est une expérience nerveusement épouvantable. Cela n’a jamais été important pour l’existence de DIJ. Cela entraîne tant de problèmes. Cependant l’opportunité ou le besoin de s’aventurer surviennent parfois. La période pendant laquelle je n’ai pas fait de concerts a été consacrée à écrire des albums de DIJ ou du matériel pour d’autres personnes. Ce n’est pas comme si je n’avais pas été pressé. En fait j’ai eu trop de préoccupations pour penser au travail sur scène. Il y a si peu d’heures dans une journée. “ Douglas Pearce
Douglas P. monta sur la scène du Loft Club de Tokyo le 19 décembre avec l’aide de David Tibet à la basse et de Rose McDowall à la batterie. De plus, il participa comme guitariste aux quatre spectacles que donna Current 93.
Un deuxième concert de Death In June eut lieu dans Ia même ville le 30. Mais, à cette occasion, Pearce joua seul à la guitare acoustique des chansons de Death In June. A ce jour, il n’a jamais reproduit ce type de performance. Cette courte tournée japonaise se révéla être un franc succès grâce à son mélange d’anciennes chansons et de titres encore inédits. Depuis quelques temps déjà, Ie Japon représentait un des plus importants marches pour les trois groupes, et peut-être que l’attrait du yen méritait bien un effort. Passionné par Mishima, Pearce pouvait aussi découvrir le pays de cet écrivain.
“Bien que je fusse très malade à cause de la grippe russe, je me suis traîné hors de mon lit pour passer le jour de Noël 1988 auprès de la tombe de Mishima. C’était une bonne expérience. “ Douglas Pearce
Un deuxième voyage au Japon se produisit en Juillet 89, mais cette fois-ci sans Death in June et Sol Invictus. Douglas P. était tout de même venu pour jouer de la guitare au sein de Current 93 avec Tibet, Wakeford, McDowall et Boyd Rice. Ce concert du 3 juillet à Osaka fut suivi d’une performance de NON à laquelle il participa. La formation pour cette soirée comprenait Douglas P. et Michael Moynihan au premier rang, Tony Wakeford et Rose McDowall en arrière et enfin Boyd Rice au centre, tous habillés en uniformes et portant un brassard. Ce dernier se tenait devant un pupitre où il disait ses textes tandis que les quatre musiciens frappaient sur des tambours des rythmes militaires. L’impression générale fait penser à unes réunion de Nuremberg dans les années 30, l’influence de I’esthétique nazie étant irréfutable. Les textes ne dissipent pas ce sentiment car le ton est violemment belliqueux. Le concept traditionnel du concert est bien loin : ainsi, pour Scorched Earth, Rice prit le livre de Ragnar Redbeard ‘Might Is Right’ (la force prime le droit) pour en lire quelques passages.
“Bien sur, j’ai longtemps été obsédé par Mishima et son œuvre. Mais je ne peux pas dire la même chose du Japon. La principale raison pour laquelle j’ai visité ce pays, c’est parce que Death In June y donnait un concert. C’était l’endroit et le moment idéal pour tenter de briser les mystères qui planent autour de Mishima. Ma deuxième visite m’a donné l’occasion de rencontrer Boyd Rice et Michael Moynihan de NON. Ce séjour fut d’ailleurs accompagné de pas mal de problèmes et d’angoisses. Tout se paye. “ Douglas Pearce
Contrairement à ce que Douglas Pearce vient de dire, Michael Moynihan n’a jamais fait partie de NON, il avait à l’époque son propre groupe appelé Coup De Grace.
“Boyd m’a appelé et m’a demandé si je pouvais partir avec lui pour que nous jouions quelque chose proche de ce dont nous avions discuté. J’ai tout de suite accepté et cela s’est produit quelques mois plus tard, pendant l’été 89. Douglas P, Tony Wakeford et Rose étaient tous au Japon à la même période car ils jouaient avec Current 93 (c’est David Tibet qui a monté cette tournée là-bas) qui ouvrait le concert que nous avons fait. Boyd leur a demandé s’ils voulaient nous aider pour la performance de NON et ils furent enthousiastes. Tout a extrêmement bien marché et il y eut une chimie naturelle entre nous” Michael Moynihan
HEILIGE !
“AU SOMMEIL ÉTERNEL N’ÉCHAPPERAIENT DONC QUE CEUX QUI, DÉJÀ AU COURS DE LEUR VIE, AURONT SU ORIENTER LEUR CONSCIENCE VERS LE MONDE SUPÉRIEUR. LES INITIÉS, LES ADEPTES, CONSTITUENT LA LIMITE DE CETTE VOIE. D’APRÈS PLUTARQUE ILS DEVIENNENT LIBRES, ILS VONT SANS LIENS, COURONNÉS. ILS CÉLEBRENT LES ‘MYSTÉRES’ ET REGARDENT SUR TERRE LA FOULE DE CEUX QUI NE SONT PAS INITIÉS ET QUI NE SONT PAS ‘PURS’, S’ÉCRASER ET SE BOUSCULER DANS LA FANGE ET LES TÉNÉBRES. ” JULIUS EVOLA
Après l’élaboration difficile de Brown Book, Pearce s’attacha surtout à rééditer des anciens titres. Si Lesson 1 : Misanthropy fut la compilation de la première mouture de Death In June, 93 Dead Sunwheels fut celle de la deuxième, du trio Leàgas/Pearce/Butler.
La photo de la pochette est tirée de la même session que celle de Nada ! et pour une fois, Ies trois membres n’ont pas le dos tournés à l’objettif mais leurs visages sont malgré tout cachés paf l’obscurité. A l’intérieur se trouvent d’autres clichés en compagnie de David Tibet où ils sont à nouveau retournés, « parce qu’ils fument une vielle clope » comme l’expliqua avec humour Tibet.
“Les types au chic militaire noir posent menaçants sur la pochette, le début de la seconde face est pourtant plus en rapport avec Rick Astley. Une lecture rapide révèle que ce n’est pas produit par SAW et avec des lignes comme “Les corps s’écroulent, gonflés par le gaz” qui émanent, le mythe de Rick s’évaporait bientôt” Mike Noon, Offbeat
Ce mini-album regroupe les deux morceaux de la compilation From Torture To Conscience (au départ ce disque aurait dû être un maxi 45 tours les réunissant), Doubt To Nothing l’inédit du 12″ The Calling, deux versions retravaillées de titres de Nada !, Behind The Rose et C’est Un Rêve en duo avec David Tibet, et pour finir un soi-disant remix de She Said Destroy, qui consiste en fait en la version originale agrémentée d’enregistrements déjà entendus en ouverture de concerts, et provenants pour certains de la série Le Prisonnier, un autre digne représentant du Numéro 6.
Enfin vint Ia compilation de la formation actuelle : The Corn Years. Ce fut également le premier CD de l’histoire de Death In June. Ce disque a pour prologue Heilige ! qui ne comprend en fait que l’air de Heilige Tod. Il regroupe huit titres de The WorId That Summer, six de Brown Book, les deux chansons de la face B du 25cm To Drown A Rose et un remix de Behind The Rose (Fields Of Rape), très proche de la version présente sur 93 Dead Sunwheels. La principale différence entre les deux est l’absence de guitare acoustique sur la dernière en date.
Trois autres morceaux, Love Murder, Break The Black Ice et Rule Again, avaient été réenregistrées. Pour Break The Black Ice, le changement s’était uniquement porté sur le chant où Rose McDowall remplaçait Pearce. Le chant de Love Murder était également retravaillé, heureusement serait-on tenté d’ajouter. Sur ce disque, Pearce associait à sa chanson une voix sussurée qui lui apporte une touche sensuelle. La nouvelle version de Rule Again, quant a elle, était dans l’esprit de celle de Somewhere In Europe, ce qui n’est guère surprenant lorsque l’on connait l’avis de Douglas P. sur cette reprise car il “pense sincèrement qu’elle est meilleure que l’originale.”
Entre la parution de ces deux compilations, le service de vente par correspondance de NER proposa à ceux qui se trouvaient inscrits sur son fichier d’acheter le nouveau 33 tours : The Wall Of Sacrifice. Seulement 600 exemplaires de cet album seraient pressés (pour “créer une élite parmi l’élite”) et ne pourraient donc être commercialisés normalement. De plus, l’annonce précisait que ce disque serait probablement le meilleur et le dernier enregistrement de Death In June. Sur cette même lettre ainsi que sur la face B de cet album était gravé “Time to stop, Time to think, Time to change, heilige Leben”. Il était temps de s’arrêter, de penser et de changer.
Après une suite de problèmes, la sortie fut reportée de novembre 88 à mars 89.
“Les deux nouveaux albums mentionnés dans la lettre d’information ont tous les deux été retardés parce que, en même temps que Current 93 et Nurse With Wound, nous avons été rejetés par deux maisons de disques à cause de nos liens avec “l’occulte”. Bien sûr, ces firmes sont la propriété de quelques chrétiens orthodoxes. Le plus drôle c’est qu’ils pressent des disques de C93 et NWW depuis presque trois ans, donc cela fait déjà un bon moment qu’ils jouent avec le diable. “ Douglas Pearce
Il n’y avait pourtant rien d’anti-chrétien ou de satanique dans le titre énigmatique de l’album :
“J’ai fait un rêve qui a duré trois nuits. La troisième nuit je fus emmené dans une maison qui m’avait déjà été présentée dans les deux autres rêves. Je fus conduit dans une chambre du haut où le plâtre sur les murs avait été enlevé, il n’y avait plus que des briques mais dans les briques il y avait du sang et de l’eau gelés… En même temps que l’eau fondait, le sang s’égouttait. C’était le mur des sacrifices. A l’image du rêve où l’eau et le sang s’égouttent, la vie se déroule et forme un ruisseau qui s’écoule au gré de n’importe quel chemin… c’est la toile d’araignée. On est piégé, on est gelé, mais ça va fondre inévitablement. Je crois en la destinée” Douglas Pearce
Musicalement., The Wall Of Sacrifice restait dans le sillage des deux précédents : des morceaux expérimentaux tel que le titre éponyme alternent avec des chansons plus traditionnelles, tout en explorant plus à fond la première voie. Pour les textes également, il n’y a pas de révolution au niveau de la formule, DIJ est constamment à la recherche d’une pureté et d’une beauté immarcescibe.
Cette fois ci, Douglas P. fut accompagné dans la réalisation du 33 tours par Tibet, Rose McDowall, Andrea James, Jan O’ et deux nouveaus, les américains Boyd Rice de NON et Nikolas Schreck de Radio Werewolf, rencontré à Londres lors du lancement de The Manson File, son livre sur Charles Manson, l’instigateur du meurtre de Sharon Tate.
“J’invite d’autres personnes à faire certaines choses sur un disque parce que je sais qu’ils peuvent faire ce que j’attends. La partie est pensée pour eux. Je n’aime pas vraiment chanter mais ce n’est pas la raison pour laquelle des gens comme Rose McDowall, Tibet ou Boyd Rice font quelques parties vocales. Seulement je sens qu’ils peuvent les chanter d’une façon appropriée et intéressante. Si je faisais tout moi-même, je serais probablement assez ennuyé par le résultat final. Il n’y aurait pas de surprise pour moi. Pas de détachement. Ou du moins, pas assez. Mais je peux aussi écouter quelque chose comme Fall Apart où il n’y a au fond que moi chantant et une guitare et m’en sentir complètement séparé. C’est comme si ce n’était pas moi. “ Douglas Pearce
La particularité de cet album est que l’ordre des morceaux sur le disque est le même que celui de leur enregistrement. Il s’ouvre sur The Wall Of Sacrifice, une longue pièce d’à peu près un quart d’heure, dans un style apocalyptique proche de Death Of A Man, et s’achève par un autre titre long, mais assez ennuyeux : Death Is A Drummer. Un carillon retentit, suivent ensuite des notes de piano qui rappellent un morceau du Musica Ricercata du compositeur hongrois Ligeti, puis des percussions. C’est alors que l’on entend la voix de Nikolas Schreck et celle de Douglas P. :
Les sons des plus divers vont alors s’entremêler, des voix, de la musique militaire allemande, un chant enfantin, du feedback… La fin du monde est proche.
Elle l’est encore plus a l’écoute de Death Is A Drummer, le morceau le plus grave de Death ln June dans tous les sens du terme. D’un fond sonore oppressant se dégagent péniblement des échantillons de musique militaire qui n’arrivent pourtant pas à s’extraire complètement du magma.
Entre ces deux moments ardus se succèdent des chansons jouées à la guitare sèche comme Hullo Angel (qui est en fait une version réenregistrée de Angel, le titre chanté par Pearce sur l’album de Current 93 Swastikas For Noddy et son alter ego remixé Crooked Crosses For The Nodding God) ou Giddy Giddy Carousel et des compositions plus hermétiques telles que In Sacrilege ou Bring In The Night. Il est à noter que The Wall Of Sacrifice contient en outre la suite du Heilige Tod de Brown Book avec Heilige Leben.
La thématique n’est forcément guère différente sur cet album : l’antagonisme entre la mort d’un côté, la vie et l’amour de l’autre est toujours aussi présent :
In Sacrilege aborde deux sujets récurrents chez Death In June que sont la misanthropie et le pourrissement Bien qu’interprété par David Tibet, ce texte fut écrit par Douglas P. et montre sa vision toute personnelle de l’existence.
Bring in the night amène un nouveau collaborateur en la personne de Boyd Rice. Comme il l’avait fait pour Current 93, il a envoyé par la poste une cassette où il a enregistré un de ses textes intitulé le Psaume de la Destruction, il sert d’introduction à Bring In The Night :
A travers tous ces textes sulfureux et sombres se dessine toutefois dans cet album une composition plus sensible qu’à l’accoutumée :
Quitter ses rêves pour trouver une vie inutile, voici une éventualité bien affligeante.
Jamais Death In June n’avait atteint un ton qui se rapproche autant de la confession qu’à travers ce texte où le travail de David Tibet se fait toutefois sentir.
Dans son ensemble, The Wall Of Sacrifice poursuit la progression constatée au niveau de Brown Book : Death In June est selon l’occasion un groupe “industriel” maniant la technique du collage et utilisant des bruits divers pour créer de nouveaux climats -le retour d’une guitare électrique sur quelques morceaux rentre dans ce cadre car aucune harmonie n’est produite par cet instrument- ou, au contraire, une formation ayant pour but d’atteindre l’essence d’une chanson, sans avoir à s’embarrasser d’ornements.
“Personellement, je crois que la musique de Death In June est devenue à la fois plus simple et plus compliquée. The Wall Of Sacrifice en est l’exemple type. C’est la recherche d’une certaine pureté qui m’a conduit à n’utiliser qu’une guitare acoustique sur plusieurs morceaux, pour ne pas nuire à l’ensemble. L’expérience semble avoir porté ses fruits. “ Douglas Pearce
L’ensemble n’était somme toute pas véritablement inattendu. Les grandes lignes de Brown Book se retrouvaient, ce disque était aussi intemporel que le précédent. En effet, à une période où de nombreux groupes issus du mouvement industriel tels que Psychic TV ou Coil se noyaient dans les délices chimiques de l’acid-house, Death In June gardait son cap.
“Je n’ai pas participé à cette vague musicale. Le seule fois que j’ai pris un X c’était pour ne parler à personne ! Je n’avais pas envie d’aller en discothèque, je voulais juste mourir. On me dit que prendre un X te rend aimable et te donne envie de faire la fête. Mais pas du tout : je voulais sortir massacrer les gens ! Les acides c’est pas pour moi ! Je ne crois pas à l’Acid House, je crois au Blockhouse ! (NT : blockhaus) “ Douglas Pearce
Cet album s’accompagna d’une découverte pour Death In June, celle de la vidéo :
“Une vidéo fut faite pour Giddy Giddy Carousel mais la BBC refusa de la diffuser. C’était étrange de considérer qu’ils m’aient approché pour en faire une. “ Douglas Pearce
Douglas P. ne participa qu’accessoirement au mini-LP Earth Covers Earth de Current 93. Il sc contenta effectivement de quelques note de guitare électrique sur Rome For Douglas P, une chanson sur laquelle il se devait de jouer. II ne prit pas part comme par le passé a l’élaboration de cet album et c’est Tony Wakeford qui se chargea de l’écriture des chansons. Tibet lui demanda même de reprendre Fields, composée à l’époque de Death In June, pour la transposer en Eart Covers Earth.
Cet album suit par extension le chemin prit par Swastikas For Noddy en se rapprochant de plus en plus fortement du folk. Ce rapprochement va même jusqu’à un remake de la pochette du Hangman’s Beautiful Daughter de Incredible String Band, un groupe folk anglais des années soixante.
Janvier 1990 vit la parution de disques compacts destinés à combler le vide sur ce format. Trois sortirent en même temps, The Guilty have No Past, Nada ! et The Wall Of Sacrifice, qui voyait le jour en disque compact seulement neuf mois après sa publication en vinyl. Pourtant l’édition limitée du 33 tours à un prix prohibitif était censée “créer une élite à l’intérieur de l’élite”. Cette notion semble variable chez New European Recordings. Ce CD ne comporte aucune modification vis-à-vis du vinyl.
The Guilty Have No Past – appréciez le jeu de mots – contient l’intégralité de The Guilty Have No Pride, les trois chansons du premier 12″ et le simple State Laughter/Holy Water. Un titre de Burial conclut le CD : Black Radio.
Nada ! comprend bien évidemment tous les morceaux de cet album, les deux titres de la compilation From Torture To Conscience, ainsi que les deux dernières chansons du 12″ précédant Nada! : The Calling et Doubt To Nothing.
En ce qui concerne les années 1981-1985, il manque donc sur ce support la première face de Burial à l’exception de Black Radio, soit quatre chansons, Born Again et Carousel Bolt Mix, qui apparaissaient sur le même simple. Leur absence n’est pas due à une contrainte de temps car les disques durent respectivement cinquante et soixante minutes, ce qui laissait encore la place à quelques morceaux.
Au fil des mois, la position de Pearce par rapport à Death In June ne fut jamais arrêtée, Death in June était-il mort ou simplement en sommeil ? Le futur allait donner des précisions.
1990 fut l’occasion pour Douglas P. de découvrir des grands espaces en voyageant en Australie, où il passa trois mois, et aux Etats-Unis. Boyd Rice venait de quitter San Francisco pour Denver et Pearce l’y retrouva en mars pour l’enregistrement du nouvel album de NON.
L’AMI AMERICAIN
“JE RÊVE DUNE ASSOCIATION D’HOMMES ABSOLUS, QUI NE CONNAISSENT AUCUN MÉNAGEMENT ET VEULENT ÊTRE APPELÉS ‘LES DESTRUCTEURS’ : ILS APPLIQUENT A TOUT LA MESURE DE LEUR CRITIQUE ET SE SACRIFIENT À LA VÉRITÉ. TOUT CE QUI EST SUSPECT ET FAUX DOIT ÊTRE MIS EN LUMIÉRE.” FRIEDRICH NIETZSCHE.
Les enregistrements réalisés étant trop différents de NON, la réapparition de Douglas P. eut lieu au sein d’un nouveau groupe : Boyd Rice And Friends. La formation regroupait donc Rice, Pearce, Wakeford, McDowall et Moynihan
“La façon dont c’est venu est que nous étions tous au Japon à faire ces concerts et nous étions supposés rentrer en studio avec Current 93.Et, le jour précédent, Doug m’a dit ‘J’en ai vraiment marre d’enregistrer avec Current 93 ; je pense que ce serait mieux si toi et moi nous allions en studio pour faire quelque chose nous-mêmes. “ Boyd Rice
De plus, Rice désirait rencontrer Pearce depuis de longues années :
“NON et DIJ tournaient en Europe, et dans chaque ville où j’allais, Death In June était venu deux ou trois jours avant moi. Nous nous arrêtions dans des hotels et le concierge me disait ‘Et bien, re-bonjour ! Vous êtes déjà de retour ?’ et je disais ‘Hein ? Je ne suis jamais venu ici ‘ et il me disait ‘Mais bien sur que si, vous ne vous rappelez pas ? J’ai toujours les choses que vous m’avez donné’ Et il ouvrait un tiroir avec des patches de Death In June, des photos signées, des badges et des trcus. Il pensait que j’étais Doug ! Et cela s’est reproduit encore et encore. Je pense que c’est parce que nous portions tous les deux des uniformes noirs, que nous avions des épinglettes ou des badges avec une totenkopf et que nous parlions anglais. Des femmes de chambre m’ont dit ‘Vous avez tout manqué ! Des amis à vous étaient ici la semaine dernière’. Alors, après plusieurs semaines comme celle-là j’ai commencé à penser qu’il y avait une sorte de lien entre Doug et moi. Je suis devenu de plus en plus curieux et de plus en plus intrigué. J’aimais le nom Death In June et, bien sûr, j’avais une affinité avec l’imagerie et les symboles. “ Boyd Rice
“Quand je suis arrivé au Japon pour faire quelques concerts avec Current 93 et NON, Boyd et moi nous sommes très bien entendus. Nous avions déjà collaboré au sein de C93 et DIJ, alors ce fut une extension naturelle de cela. Ce fut immédiat. Quatre morceaux furent finis à Tokyo (juillet 89) et le reste fut fait à Denver (en mars 90 avec seulement Moynihan, Pearce et Rice) où Boyd réside désormais. Music Martinis & Misanthropy est une des meilleures choses que j’ai faite ou à laquelle j’ai été impliqué. Un album substitut de Death in June. Au vu de la réputation de Boyd dans l’avant-garde du « bruit industriel », la plupart des gens furent très surpris par le résultat. Nous avons pensés tous les deux que c’était doublement plaisants.” Douglas Pearce
En effet, Music Martinis & Misanthropy s’avère moins aventureux que The Wall Of Sacrifice et moins abstrus que les disques de NON. Bien qu’apparaissant sur Mute, le label de Depeche Mode ou Nick Cave, les enregistrements de Boyd Rice ont jusque là rendu sourd plus d’un auditeur et poussé d’autres à mener une vie érémitique, loin du tumulte, et à devenir stylites. Le but n’est pas ici d’écrire des mélodies mais d’expérimenter
“J’ai fait des plans pour un concert en 1975 appelé Hazard Music, et cela consistait en une boîte de balles jetées sur un barbecue au centre d’une pièce avec les chaises du public en cercle. Entre les spectateurs et les munitions, il y aurait de larges feuilles de verre, alors quand la balle chauffe et part, les personnes entendraient le verre se briser une fraction de seconde après avoir entendu la détonation, et sauraient si oui ou non le projectile allaient dans leur direction (bien que cela ne leur laisserait pas le temps de courir, juste le temps de peut-être savoir que cela venait vers eux. De toute façon, c’était un concert. Bien que la portion auditive était extrèmement minimale, mais je suis sûr que le New York Philarmonic serait bien en peine d’égaler l’impact émotionnel ! Alors, en ce qui me concerne, la musique peut exister au-delà du rythme et de la mélodie, la partie importante ce cela est la réponse de l’auditeur, pas les moyens utilisés pour avoir cette réponse” Boyd Rice
Tout au long de sa carrière, Boyd Rice a joué avec des fréquences plus qu’avec des instruments, et, bien évidemment, l’entendre parler et même chanter avec I’d Rather Be Your Enemy sur une musique relativement calme a de quoi surprendre. Il avait déjà collabore avec un musicien venant d’un univers différent, Frank Tovey de Fad Gadget sur Easy Listening For The Hard Of Hearing, mais pourtant le résultat final était une musique bruitiste bien éloignée de la techno-pop de Fad Gadget. Tandis que sur Music, Martinis & Misanthropy la patte de Douglas Pearce est aisément reconnaissable. Ainsi, on entend sur Down In The Willow Garden la voix de Rose McDowall utilisée de la même manière que sur Zimmerit. Son influence dans l’écriture de l’album est indéniable, son ardeur au travail fut la même que pour l’élaboration d’un disque de Death In June, et on peut voir dans Music Martinis & Misanthropy ce que serait Death In June flirtant avec la pop américaine et utilisant des textes différents.
Bien que ses disques ne l’aient pas laissé supposer, Boyd Rice porte un amour inconsidéré à la pop music, particulièrement aux chanteuses des années 60. Dans le livret du CD apparait une photographie prise par Michael Moynihan d’une étagère de l’appartement de Rice : au milieu de bibelots se trouve une cassette d’Abba, l’un de ses groupes préférés. Dans les remerciements se trouvent les noms de Richard et Karen Carpenter, du père des Everly Brothers ou encore de Lee Hazlewood, surtout connu pour les chansons qu’il a écrite pour Nancy Sinatra mais aussi le nom de Gobineau – qui à notre connaissance n’a encore pas enregistré de disque pop. Le titre de l’album est lui inspiré du Music, Martinis & Memories de Jackie Gleason et la recette que l’on découvre également à l’intérieur du livret est une transposition de celle que donnait Gleason dans un autre de ses disques, Lover’s Portfolio.
Douglas P. prenait en fait un nouveau risque au vu de la réputation de Boyd Rice. Ce dernier fait souvent référence à Hitler, à Gobineau donc dans les remerciements. Pour ses concerts aux USA, il faisait appel à des membres de l’American Front, un groupuscule skinhead. Dans une émission intitulée Race & Reasonr produite par le White Aryan Résistance (WAR), à la question ‘que penses-tu de la séparation raciale ?”, sa réponse fut
“Cela semble être la seule voie intelligente, la voie que les gens choisiraient s’ils n’étaient pas forcés d’en prendre d’autres” Boyd Rice
Dans cette même émission, en 1986, il annonça une nouvelle déconcertante à propos de personnes avec lesquelles il n’avait jamais eu aucun contact, à l’exception de Tibet l’année précédente :
“Il y a un gars que je connais nommé David Tibet qui est dans un groupe appelé Current 93, qui tend de plus en plus vers des trucs racistes. Il est ami avec d’autres gens appelés Death In June qui sont très axés sur le racisme.” Boyd Rice
Pourtant, il réfute toujours être un adorateur du troisième Reich ou un militant d’extrême-droite et a parfois des avis en contradiction avec ce qu’il est supposé être :
“Je ne crois pas à une chose telle qu’une race supérieure. Je crois que chaque race est en sorte complètement évoluée comme elle a besoin d’être évoluée. L’idée d’une race supérieure est une contradiction, parce que chaque cercle a cette petite poignée de personnes qui sont intelligentes et qui vont arriver avec toutes les idées, et il y aura un groupe de gens qui au fond ne valent rien. “ Boyd Rice
Il est vrai que ses théories ne sont pas celles des partis néo-fascistes, elles se rapprocheraient plutôt sur certains points de Nietzsche, ou plus précisément du darwinisme social.
“Dans le royaume des animaux, les forts font leur proie des faibles. Chaque forme de vie fait sa proie d’une autre forme de vie. C’est naturel, les choses sont comme ça. Une fois que nous reconnaissons qu’il est stupide de prétendre autre chose, nous pouvons apprendre à travailler à l’intérieur de cette structure. Cela ne signifie pas que je veux commencer a construire des fours et y pousser tous ceux avec qui je ne suis pas d’accord ou qui ne sont pas d’accord avec moi. Cela fait partie de la nature humaine que de détester tout ce qu’on ne comprend pas. Les faibles ont peur de la force chez les autres. Les forts respectent la force des autres. Tu peut complétement retourner la situation. Des gens pensent que je suis fasciste et les mêmes qui m’accusent d’être fasciste voudraient me chasser de la ville, voir mes disques retirés des étagéres. Je trouve cela ironique. Les gens qui détestent Tipper Gore (femme du viceprésident des USA et leader d’un mouvement voulant interdire les disques ‘subversifs’ aux mineurs) entretiennent la ‘mentalité Tipper Gore’ en roulant me censurer sans même connaître d’où vient ma pensée. Certainemrent que ma pensée est fasciste, ce que les gens prétendent être fasciste, mais pour moi c’est juste la façon dont le monde est. “ Boyd Rice
Dans toutes ses allocutions à la presse, Rice s’affirma comme le chantre du darwinisme social, théorie fumeuse selon certains sociologues, apparue aux Etats-Unis lors de la fin de la guerre de sécession et en Allemagne après la victoire contre la France en 1870 et qui fait l’apologie de la force.
Pourtant, la théorie de Darwin n’est en aucun cas sociale”. Le naturaliste anglais parle aussi bien des animaux que des plantes, de tout sauf de notre société. Le darwinisme fut donc dénaturé aux Etats-unis pour justifier un thème libéral et antiétatique qui prônait la supériorité de la libre entreprise sur le protectionnisme d’Etat, une vision proche du capitalisme libéral. Le type de l’homme fort, le plus apte dans la lutte pour l’existence, c’est l’homme du Nord puritain et industrialisé, un homme qui ne compte que sur lui-même pour réussir. Ainsi la devise de Sumner après la fin de la guerre de Sécession est “Comprenons bien que nous ne pouvons sortir de cette alternative : liberté, inégalité, survivance du plus apte ; absence de liberté, égalité, survivance du moins apte. La première formule fait avancer la société et favorise ses membres les plus doués. La seconde fait régresser la société et favorise ses membres les plus arriérés.” Le darwinisme social refuse donc toute forme d’aide aux démunis, l’éducation publique, etc.
La première critique faite à cette théorie provint de Nietzsche car il y voyait une “doctrine de la masse ou de la moyenne”. En effet, la méthode darwinienne, probabiliste, ne prend le vivant que comme une masse.
Bien que cette théorie est parfois vue comme l’exact opposé du totalitarisme national-socialiste, la notion du droit du plus fort – fondée sur la supériorité de la race chez les théoriciens nazis alors que Darwin nie toute noblesse de naissance – est désormais teintée d’une connotation pénible.
“Le ‘darwinisme social’ est juste un fait de l’existence naturelle. Il n’y a aucune façon d’y échapper bien que certaines institutions humanitaires ou sociétés modernes essaient d’y circonvenir avec des résultats naturellement désastreux. “ Michael Moynihan
Pour l’opinion publique, les faits sont là et l’engagement politique de Rite ne fait plus aucun doute. A partir de ce point, les plus folles rumeurs naquirent :
“On a dit que j’avais quitté San Francisco pour rejoindre une organisation terroriste souterraine essayant de détruire le gouvernement américain. Que j’ai mon armée personelle de skinheads, mon commando et quiconque me déplaît se fait rosser à coups de batte de basebalL Un magazine musical français (Best sous la plume de Myriam Léon) a dit que j’avais abandonné la musique pour rejoindre l’American Nazi Party et poursuivre une carrière politique. Une autre étaisque je faisais partie d’un cercle national de chasseurs de pédés qui cassaient la gueule aux homosexuels avrec des battes de baseball. Ma favorite est que je suis venu à Denver parce que j’ai un appartement dans le sous-sol d’une école pour filles et que j’ai percé des trous au travers du plafond pour que je puisse regarder en dessous des jupes.” Boyd Rice
“‘Boyd aime Barbie’, c’est un pédé ou ‘Boyd lit sur Hitler, c’est un nazi’ ou ‘Boyd est un ami de Anton La Vey, il tue des chats et des enfants non-baptisés’. Un mec de New York m’a envoyé une lettre d’une dizaine de pages à propos de l’erreur de mes points de vue, concluant que la raison pour laquelle je pense ainsi est que personne n’a jamais pris le temps de contester mes idées. Ha ! J’ai été ‘contesté’ depuis l’époque du bac à sable. Alors il est parti dans les conditions préalables de l’harmonie du monde. Un peu plus tard, ce gars faisait du vélo et six gars noirs lui ont sauté dessus, cassé la gueule, volé son vélo, son argent et l’ont laissé dans une mare de sang avec le nez cassé. Voila pour l’harmonie du monde. “ Boyd Rice
Toutes ces rumeurs auraient pu rester sans autre incidence que l’inimitié de nombreuses personnes, mais, ajoutées à ses relations avec Charles Manson ou Anton Szandor LaVey, le grand Maître de l’Eglise de Satan, elles attirèrent l’attention des autorités. Avec son colocataire Michael Moynihan, il reçut deux fois la visite des services secrets et ce dernier, dont le père est avocat, fit appel à un homme de loi :
“Nous avons entendu les Fédéraux lui dire (à l’avocat) : ‘Vous représentez ces salopards qui vivent ici? Vous savez quelle genre d’ordure c’est?’ Alors il a jeté la bombe : ‘Je serai parfaitement honnête avec vous. Un de vos clients complote avec Charles Manson pour assassiner George Bush, le Président des Etats-Unis!’ Ces putains d’idiots pensaient sérieusement que mon colocataire allait tenter de tuer George Bush. Michael sait à peine qui est George Bush. Il ne regarde pas la télé, il ne sait pas ou se fout de ce que fait le président. Les mecs des Services Secrets racontaient qu’il était la gâchette de Manson, alors qu’il n’a pas de revolver et qu’il a tiré seulement une fois dans sa vie” Boyd Rice
Mais, tout de même, Rice prit quelquefois des positions équivoques où le désir de choquer était évident :
“En Afrique, pendant des siècles, il était considéré comme un acte d’amour de prendre les bébés en rnauvaise santé ou faibles et de les jeter aux crocodiles. Pour moi, cela a un sens. Mais, si une mére noire laisse un ‘crack baby’ dans les poubelles pour mourir d’une mort miséricordieuse, elle est envoyée en prison ! Cest le même amour, mais ce qui semble raisonnable dans un environnement plus naturel semble barbare dans un environnement aussi contre nature que celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. En d’autres mots, je ne pense pas que la violence et l’amour soient mutuellement exclusifs. Pas du tout. Dans certaines situations Ia violence est amour. Elle sert la volonté de vie.” Boyd Rice
“C’était vers la fin de la deuxième guerre mondiale. Il y avait un groupe connu sous le nom de SS Werewolves. Ils ont fait Radio Werewolf, où ils ont exhorté les gens au meurtre. Ils disaient, ‘Nous devons noyer nos ennemis dans une mer de sang. Chaque citoyen allemand est maintenant un membre des SS Werewolves. C’est maintenant votre travail de tuer jusqu’à la dernière personne.’ Il y avait des gosses de douze ans, des mois après la fin de la guerre, qui couraient vers les Gls et les poignardaient à mort. Ils avaient cet esprit de fanatisme qui est si admirable, que ce soient les iraniens se flagellant avec des chaînes ou Muammal al-Kadhafi faisant son truc…” Boyd Rice
Pourtant, dans ses paroles pour Music, Martinis & Misanthropy, Rice incarne plus le rôle du flagellateur que celui du flagellé :
Le message est dans la plupart des chansons un appel à la violence, les figures historiques citées en exemple sont Vlad l’Empaleur, Gengis Kahn, Ruhollah Khomeiny, Adolf Hitler ou Benito Mussolini !
Et la personne en question dans ces paroles n’est autre que Rose McDowall !
“C’est une très vieille chanson traditionnelle, et le nom original est Rose Connelly, mais j’ai pensé que ce serait amusant de le changer. Je ne sais pas comment Rose l’a pris. C’était fait avec affection et je suis sûr qu’elle est d’accord. Mais noyer une Rose ? Je n’en ai pas l’intention, non. “ Boyd Rice
Mais, à travers ses textes, Rice ne se contente pas d’occir des jeunes filles
En plus d’être soupçonné d’avoir une forte tendance fasciste, Rice se révèle être également un admirateur de Walt Disney. La première rencontre de Boyd Rice et Douglas P. fut d’ailleurs suivie d’un “séminaire au DisneyLand de Tokyo”.
Le journal américain Bananafish posa à son sujet une question : “Boyd Rice – néo-fascist or mouseketeer ?”
“Probablement les deux, je pense !! En fait, il semble être un candidat parfait pour un poste de manager à Disneyland” Douglas Pearce
Pour conclure, il est intéressant de connaître l’opinion de David Tibet à son sujet :
“Je le connais, je l’apprécie mais je ne voudrais pas jouer avec lui : Douglas, Tony Wakeford, Rose l’ont fais, mais moi je ne voudrais pas ! Je suis bouddhiste et je ne suis pas d’accord avec ses idées et sa philosophie. Moi, je déteste les politiciens : le fascisme et le communisme, c’est la même chose ! Je les déteste vraiment et je pense que ces idées vont directement en enfer ! Mais, en même temps, si Boyd est un fasciste, ce que je ne crois pas car c’est un homme qui a beaucoup d’humour, peut-être que c’est une plaisanterie” David Tibet
Il est évident que la vision manichéenne du méchant fasciste est ici difficilement applicable à Boyd Rice. Il ne fait strictement rien pour se rendre sympathique, s’amusant à jouer au vilain trouble-fête. Dérangeant de par sa musique, il est devenu au fil des années dérangeant de par sa philosophie inspirée du darwinisme social. Pour plus de renseignements à ce sujet, il est conseillé de se référer à Wake, la revue que publie Rice et l’Abraxas Foundation.
De retour à Londres, Pearce eut la surprise de voir dans les magasins un 33 tours de son groupe. Supernatural Organisation, un label japonais, réalisa un album d’une seule face de Death In June. Ce Live In Japan comprenait quelques morceaux enregistrés lors du concert au Loft Club de Tokyo, le 19 décembre 88.
“Au fond, en un mot, c’était un pirate !!! Je n’ai jamais reçu un penny pour cette sortie et bien qu’ayant fourni les photos pour la pochette, je ne fus jamais consulté à propos de rien d’autre, sans se soucier de signer un contrat ou d’écouter les cassettes. Les cassettes que j’ai entendues ne sont pas celles qui apparaissent sur le disque. Aussi Ies caractères japonais qui sont sur la pochette ne signifient pas Death in June mais quelque chose comme June’s Death. Marchands arnaqueurs et pathétiques !!! Toute cette période est une histoire très cornpliquée. C’est trop triste de l’acheter. Pour une fois j’ai été très stupide et j’ai fait confiance à des personnes. J’etais très malade à cette époque.” Douglas Pearce
Pourtant, Supernatural organisation n’a jamais été connu comme un label sérieux. Cette sympathique compagnie est célèbre pour ses notes impayées, et David Tibet pourra en témoigner, lui qui n’a pas encore reçu le moindre penny pour l’édition japonaise de Earth Covers Earth qui contenait un 7″ de trois titres live à Tokyo. Elle délivra aussi une version de The Wall Of Sacrifice dans la même pochette que l’original, Ia différence tenant dans le jaune plus foncé de cette version. Pearce profita de son deuxième passage au Japon pour “piquer” le master de I’album live. Il ne devrait donc jamais y avoir de sortie en CD de ce 30 cm.
Ce disque est tout de même intéressant en tant que témoignage du retour sur scène de Death In June. Il s’ouvre sur Heilige Leben, la troisième et dernière partie du triptyque.
Bring in The Night suit mais sans la partie parlée de Boyd Rice. A part ce détail, cette version est très proche de celle qui paraîtra l’année suivante. Il en est de même pour In Sacrilege, l’autre chanson de The Wall Of Sacrifice. Sont également présents deux titres de Nada! (Behind The Rose et C’est Un Rêve), deux de The World That Summer (Death of A Man et Blood Of Winter) et le grand classique du groupe : Heaven Street. Le disque se termine par un retour de Heilige Leben et de la musique militaire.
Le premier étonnement provient de la dureté du son. La basse de Tibet est utilisée pour servir de fond, comme un vrombissement qui couvre l’espace, Pearce retourne quelquefois à une guitare électrique pour obtenir du feedback. Des bandes servent à combler les carences du trio, mais elles ne peuvent rendre plus attrayante une performance manquant singulièrement de dynamisme. La présence de Rose McDowall à la batterie passe en effet trop inaperçue, elle se contente de donner un tempo au lieu d’un vrai rythme. Même Heaven Street sonne comme une réunion de musiciens poliomyélitiques.
Ce concert se révèle annonciateur de The Wall Of Sacrifice en présentant quelques nouveaux titres, et révélateur du son plus dur qu’a adopté Death In June sur scène.
Un autre témoignage en provenance du Japon fut publié dans le box regroupant un album de Sol Invictus, un autre de Nurse With Wound et un de Current 93. Ce dernier comporte deux faces bien distinctes, la seconde, qui sonne carrément hard-rock, enregistrée à Shizuoka avec des musiciens japonais issus de groupes proches l’un de l’autre, Neon Knights et Magick Lantern Cycle, et la première avec les habituels Pearce, Stapleton et Wakeford en Angleterre. Les amis présents y effectuent, entre autres, une reprise du groupe psychédélique anglais Cornus, une des références principales de Tibet.
Douglas P, comme Wakeford, ne participa pas pour la première fois depuis quelques années à un concert de Current 93. En compagnie de Sol Invictus, Tibet devait se produire sur les planches de la Lune des Pirates d’Amiens le 15 décembre 90 avec le guitariste de Bevis Frond, Nick Saloman, à la place de Pearce.
“Pour notre venue à Amiens Nick Saloman devait jouer avec nous. Malheureusement, il a perdu son père très subitement. J’étais très embêté. J’avais besoin d’un guitariste de toute urgence, j’ai contacté Michael Cashmore et lui ai demandé s’il voulait faire un concert avec nous. Il a accepté, il est venu à Londres, mais nous n’avions fait aucune répétition avant Amiens : il connaissait toutes les chansons par cœur ! “‘ David Tibet
Un CD live de cette performance fut réalisé l’année suivante sous le nom de As The World Disappears. Un seul titre manquait à cause d’une qualité sonore insuffisante.
Cette fin d’année vit la parution d’une nouvelle compilation intitulée 1888, fruit de la collaboration Tibet/Pearce. Ce nom est en fait purement accidentel, le disque n’avait pas de titre effectif mais au dos de la pochette se trouve une statue où la date de 1888 est gravée.
La première face contient trois chansons de Death In June dont les paroles furent l’oeuvre de Tibet, et la seconde quatre titres de Current 93 où la présence de Pearce est indéniable.
S’il n’y avait cette superbe pochette qui mérite à elle seule l’achat, on pourrait être déçu par le contenu. Sur la face Current on retrouve deux chansons de Swastikas For Noddy et seulement deux inédits dont un très beau The Signs And The Sighs Of Emptiness enregistré lors d’un concert à Tokyo en 1989 et qui contient deux lignes reprises dans Fall Apart (‘’Aimer c’est perdre, et perdre c’est mourir’’). Quand à la face DIJ, elle propose la version de Break The Black Ice chantée par Rose McDowall sur The Corn Years, le Tibet Mix de Rule Again et le Rose Mix de Fall Apart. Si ce nouveau remix de Rule Again est bien inédit, ce n’était plus le cas du Rose Mix de Fall Apart qu’on retrouvait déjà sur la compilation Sacred War.
“Cette compagnie germano-américaine m’a accproché vers l’auomne 89 et m’a dit qu’ils se préparaient à sortir un CD comprenant entre autres NON, Anton La Vey, Sol Invictus et Charles Manson. Le projet s’appelait à l’époque The Demonic Revolution, et j’ai beaucoup aimé ce titre. Alors je leur ai envoyé des bandes de remixes de The Wall Of Sacrifice et je n’ai rien entendu pendant un an. A cette période, j’avais abandonné ce projet alors j’ai décidé de sortir ces morceaux sur 1888. Cependant il est soudainement réapparu en tant que Sacred War avec une liste de noms modifiée. “ Douglas Pearce
On revoit tout de même sur ce disque La Vey, Sol Invictus, un morceau de NON tiré du concert d’Osaka auquel Pearce a participé, ainsi que plusieurs groupes américains parmi lesquels on peut citer Savage Republic.
Deux chansons de Death In June sont présentes : Giddy Giddy Carousel et Fall Apart dont le Rose Mix consiste en réalité en une reprise de la version originale agrémentée de la voix de Rose McDowall dans les choeurs.
Comme le titre et le contenu de ce disque le laissaient présager, Sacred War se veut sataniste, le responsable du concept nous donne un petit commentaire :
“Et comme l’année 1999 (666 année une) se rapproche la guerre continue…” Cornell Hillmann, Gymnastic Records
Bien que Death In June ait été en sommeil en 1989 et en 1990, Douglas P. accepta de s’engager dans une courte tournée qui traversa l’Autriche (Vienne le 20 mars 91 et Linz le lendemain) et l’Allemagne (Nuremberg le 22, Francfort le 24, Bochum le 25 et Hambourg le 25). Pour ces quelques dates, Death In June comprenait Pearce, Tibet à la basse et James Mannox de Current 93 à la batterie.
“Comme j’ai choisi de ne travailler qu’avec d’autres leaders, essayer de réunir tout le monde est un réel problème. Quand Death In June, Current 93, Sol Invictus et NON se sont réunis pour jouer au Japon et plus récemment en Autriche et en Allemagne, c’était exceptionnel ! Les permutations des vies séparées de chacun sont trop complexes pour coïncider très souvent.” Douglas Pearce
Mais au vu du peu d’entrain qui, jusqu’ici, animait Pearce dans ce genre de situation, il était étonnant de le voir partir dans une tournée.
“Current 93 et Sol Invictus avaient organisé une tournée en Allemagne et en Autriche et ils m’ont demandé de venir. Je devais jouer de la guitare avec Current 93 mais initialement je ne voulais pas le faire, parce que j’ai tendance à haïr les tournées, elles sont pratiquement toujours mal organisées, mais j’ai changé d’avis et j’ai décidé d’y aller quand j’ai reçu de nouvelles garanties que cette tournée serait convenablement arrangée. Alors, les autres m’ont tous dit qu’ils aimeraient vraiment que Death In June rejoigne la tournée, comme une sorte d’invité spécial je suppose. “ Douglas Pearce
La présence de Death In June se limita donc à de courts concerts de quinze à vingt-cinq minutes et comprenant à peu près sept chansons, placés entre les performances de Sol Invictus et celles de Current 93.
Dans la foulée de cette tournée, Death In June se produisit pour la première fois depuis six ans au Royaume-Uni, le 16 mai à la Venue de New Cross à Londres. Satisfait par ses concerts sur le continent, Pearce ressentit qu’il était temps de venir reconquérir ses terres. Encore accompagné de Sol Invictus et de Current 93, Death In June apparut en tête d’affiche pour donner un spectacle d’une quarantaine de minutes. Le public londonien assista en fait au premier vrai concert de Death In June depuis l’escapade japonaise de 1988.
Il semblait à la suite de ces performances que l’existence de Death In June n’était plus remise en cause. Douglas P annonça même qu’il avait commencé à travailler sur un nouvel album qui s’intitulerait But What Ends When The Symbols Shatter ?.
Pour définitivement clore le sujet des réeditions en CD, NER publia The Cathedral of Tears, la deuxième partie du diptyque, la contrepartie de The Corn Years. Plusieurs morceaux de The World That Summer et de Brown Book manquaient toujours a l’appel et cette compilation venait y remèdier. Sur les onze titres présents, on dénombre quatre compositions de Brown Book, cinq du double album, une relecture de la chanson Brown Book, ainsi qu’un inédit pertinemment appelé The Cathedral of Tears. Ce dernier titre provenant du Bar Maldoror, où Current 93 et Coil ont eux aussi enregistré de vrais-faux disques live, donne une juste idée d’un des visages de Death In June en concert de par l’utilisation d’une guitare électrique.
Dorénavant, le chapitre des rééditions est clos. De nombreux disques étaient désormais introuvables ou à des prix plus qu’exorbitants : NER pouvait ainsi contrer ceux qui désiraient profiter de la valeur marchande de Death In June.
“Par exemple, tous les morceaux du 10” To Drown a Rose sont sur le CD The Corn Years. Pourquoi payer le prix fort à des ‘gens’ tels que Vinyl Experience ? Ce serait mieux de regarder autour des étalages pour voir ce que vous pouvez faucher ! “ JRP, responsable de NER
Tous les CD jusqu’ici produits possèdent tous une couleur distinctive. The Guilty Have No Past est brun, Nada ! est bleu, The Corn Years est blanc, The Wall Of Sacrifice est noir et enfin le dernier venu est rouge, rouge sang serait-on tent d’ajouter. Si le brun du CD de la première incarnation rappelait les uniformes des SA, au vu de la référence du disque (BAD VC 34, l’année de la nuit des longs couteaux) on pourrait dire que The Cathedral Of Tears porte la couleur du sang versé.
En effet la plupart des références des disques font justement référence à diverses choses, certaines sont évidentes, d’autres beaucoup moins. Ainsi le numéro de catalogue de 93 Dead Sunwheels est BAD VC 93, celui de 1888 est BAD VC 693, le 6 pour DIJ et le 93 pour Current 93. D’un autre côté on peut citer par exemple …And Murder Love où le BAD VC 73 renvoit à 1973, une année spéciale pour Pearce.
La nouvelle réalisation de Death In June fut surprenante : Ostenbraun, une double cassette limitée à 300 copies (la moitié du tirage de The Wall Of Sacrifice) du groupe français Les Joyaux De La Princesse qui reprenait quelques titres de Death In June en les retravaillant d’une manière assez radicale. Pour ce projet, Pearce envoya au duo hexagonal, avec lequel il entretient des relations amicales, un texte que la formation (depuis réduite à un seul membre) inclut sur deux chansons. La présentation rappelle Brown Book avec des écussons des Waffen-SS et des photos de soldats de ces mêmes troupes.
“Celle production s’est réalisée très lentement et je lui soumettais régulièrement les changements impliqués, les musiques et la présentation afin que la résultante du tout ne puisse arriver comme dans un rêve à ce point voulu ! C’était une façon de respecter l’esthétique de Death In June et ne pas seulement le mettre sur un fait accompli avec un nom dénué de contexte !! Et donc usurpé !! “ Erik, Les Joyaux De La Princesse
Une réédition retravaillée devrait normalement sortir en CD digipak d’ici peu.
1991 vit la parution de deux albums pirates de Death In June. Le premier, Night And Fog, reproduisait le concert donné au Fridge de Londres le 28 août 84. Sur la pochette apparaissait une photo de Ernst Roehm en compagnie d’autres dignitaires allemands. Le contenu marquait le premier concert de Death In June sans Wakeford et avec Tibet, dans une qualité sonore moyenne mais acceptable. NER parvint néanmoins à intercepter de nombreux exemplaires de ce disque.
Le second intitulé Flowers Of Autumn se voulait une compilation résumant la carrière du groupe. De ce fait, les instigateurs de ce disque récupérèrent des bouts de bandes provenant de la cassette The White Hands Of Death ainsi que de cassettes de concerts vendues par Patrick Leàgas et d’enregistrements réalisés avec un walkman lors de la tournée allemande de mars 91.
“J’ai beaucoup de problèmes avec les enregistrements pirates. Mais Death In June existe maintenant plus que jamais ! L’argent est toujours un problème, tu dois toujours y penser. Mais à propos des pirates, le problème est qu’ils annoncent parfois ‘Avec la permission de Douglas P’. J’ai vu un pirate allemand que je n’avais jamais vu et ils écrivent que j’ai donné mon accord. Il est beau, bien fait… 333 copies. Bien sûr, naturellement, je l’aurais parié ! Ce soir c’est la première fois que je vois ce disque ! Et cela arrive tout le temps. Cela ne me dérange pas que les fans enregsitrent les concerts, s’ils sont fans c’est ok ! Mais ce disque va rapporter des milliers de livres et Death In June ne touchera rien. Je ne me rappelle rien de ce pirate, j’ai dû le faire dans mon sommeil…” Douglas Pearce
Malgré le peu d’intérêt qu’offre ce disque, il faut reconnaitre que la présentation est soignée. A l’intérieur de cette pochette double se trouve une photo de Pearce et Tibet prise par Ruth Bayer et un texte écrit par Oliver St. Lingam. Ce dernier s’était signalé l’année précedente en réalisant le premier album de son groupe Phallus Dei. Pontifex Maximus contenait deux reprises de Death In June. Sur Break The Black Ice, Oliver Strahl (le vrai nom de St. Lingam) se contente de réciter le texte sur la musique originale! Sans toucher à la musique! “Prenez une version instrumentale de n’importe quelle chanson et essayez-vous aux joies du chant.” Tel semble être le message de Strahl car il récidive avec Rule Again. Mais, par besoin d’originalité peut-être, il remplace la musique de Rule Again par celle de The Sewage’s Worker’s Birthday Party, un morceau de Coil tiré de leur premier album Scatology, sur laquelle il ajoute le texte de David Tibet et Pearce. La question de l’utilité de ces reprises reste posée.
“Je n’ai pas entendu parler de ce disque et ce serait bien si les gens me demandaient d’abord si je suis d’accord pour la sortie de quelque chose que j’ai écrit, ou au moins qu’ils m’envoient un exemplaire. Qui sont Phallu Dei ??? “ Douglas Pearce
Le 9 Novembre, Death In June vint en France à Amiens pour un concert unique. Si Tibet et Mannox étaient toujours présents, le groupe s’était enrichi d’un nouveau membre : Simon Norris. Ce dernier était chargé des claviers sur quelques morceaux et de diverses percussions. Grâce à cet apport, le son de Death In June se trouvait inévitablement étoffé mais, malgré tout, la qualité de certaines chansons n’était pas forcément bien rendue par la formation. Tibet ne semblait guère à l’aise à la basse, se contentant de quelques accords et Norris donnait l’impression de découvrir le synthétiseur. Pourtant si les imperfections d’ordre technique sont généralement déplaisantes, le quatuor réussit tout de même à capturer l’essence des chansons de Death In June et à combler une partie des admirateurs présents au Golf, inévitablement conquis avant le début des hostilités. Mais, de toute évidence, les synthétiseurs étaient réduits à la portion congrue, et une fraction du public préférant la période synthétique fut déçue.
“Dommage que toutes les instrumentations synthétiques bien soulignées dans les albums Nada ! et The World That Summer aient été occultés sur scène pour lasser place à l’habituelle guitare baba de Douglas Pearce. Le tout a sombré dans le rassemblement hippie-nazi” Prémonition
La référence au nazisme provient probablement des tatouages que laissa apparaître Simon Norris lors du premier rappel : deux svastikas, un dextrogyre et un sinistrogyre, sur la poitrine.
Douglas P. rejoignit Tibet et Mannox au sein de Current 93 pour deux performances au Passage du Nord-Ouest à Paris les 21 et 22 novembre. Lors du concert d’Amiens, le deuxième rappel avait été l’occasion de jouer trois titres de Current. Peut-être par souci d’équité celui du 21 novembre était composé de trois morceaux de Death In June, Leper Lord, Come Before Christ And Murder Love et Heaven Street. Le lendemain, le trio joua de nouvelles chansons de Death In June pour terminer le concert : Torture By Roses, Giddy Giddy Carousel, Fall Apart, Behind The Rose (Fields Of Rape) et finalement C’est Un Rêve. Bien entendu, Simon Norris fut absent de ces deux rendez-vous.
Il réapparut pour la mini-tournée italienne de la première moitié de décembre. Ces concerts se déroulèrent dans la même ambiance qu’à Amiens, les morceaux joués étaient sensiblement identiques, bien que leur enchainement et leur nombre furent à chaque occasion dissemblables. La seule différence fut l’interprétation d’une chanson inédite appelée Ku Ku Ku. Quand aux rappels, ils consacrèrent des titres de Current 93.
Mute publia un nouveau CD de NON intitulé In The Shadow Of The Sword. Il regroupait le concert d’Osaka de 89 dans son intégralité ainsi que quatre autres sélections enregistrées entre 1991 et 1992. Ce disque est en tous cas la preuve que malgré sa dimension, Mute Records est resté un label indépendant.
Quant à la pochette, elle représente des membres de la troupe formée de sections dissidentes de l’armée italienne de Gabriele D’Annunzio avec laquelle le poète prit en 1919 la ville de Fiume, devenue depuis Rijeka en Croatie. Cet album, comme Music Martinis & Misanthropy, est en quelque sorte le porte-parole musical du darwinisme social.
LES MASQUES
“MES FRERES, PRENEZ GARDE AUX HEURES OÙ VOTRE ESPRIT VEUT PARLER EN SYMBOLES : C’EST LA QU’EST L’ORIGINE DE VOTRE VERTU.” FRIEDRICH NIETZSCHE
Concentré sur l’écriture et l’enregistrement du prochain album, Douglas P délaissa la scène les premiers mois de 1992.
On reçut de ses nouvelles par l’intermédiaire de Thunder Perfect Mind, le dernier album de Current 93, paru le même jour que son frère, le Thunder Perfect Mind de Nurse With Wound, le 5 Mars, la date de l’anniversaire de Tibet.
Bien que Thunder Perfect Mind contienne A Sadness Song, la chanson qu’il préfère parmi celles qu’il a composé pour Tibet, Pearce participa épisodiquement, en tous cas bien moins que par le passé, à l’opus de Current 93. Les tendances années 70 de Tibet semblaient bien éloignées des aspirations de Pearce. Pourtant, comme sur Earth Covers Earth, Douglas P eut l’honneur d’avoir une chanson à son propos : A Song For Douglas After He’s Dead est un hommage émouvant au ton mélancolique.
“J’aime beaucoup Douglas et un jour il pourrait mourir… Ou plutôt il mourra ! Et je serais particulièrement triste. Tous les gens écrivent des nécrologies une fois que les gens sont morts. Je voulais lui dire ce que je ressens, avant sa mort. Je suis très proche de lui” David Tibet
Pearce semblait pourtant plus vivant que jamais car il relança le projet de réaliser des disques sur NER autres que les siens. Le premier fut Gestures de Somewhere In Europe, une compilation de morceaux de leurs quatre cassettes : Somewhere in Europe en 1986, Dark days en 1988, Know Your Enemy en 1990, Liturgy of Anguish une année auparavant, et une chanson intitulée To Cross The Bridge At Dusk tirée de la compilation portugaise Realidade Virtual. On retrouve bien évidemment Douglas P sur cette production.
Plusieurs disques furent annoncés chez NER tels l’album de Blood Axis ou un CD de Anton La Vey qui ne sont toujours pas publiés. Le dernier ne vit pas le jour car NER ne reçut jamais les photos et les textes pour la pochette. Le nouvel et effroyable opus de NON était également prévu mais Ragnarok Rune parut l’année suivante sous le nom de Boyd Rice, les disques de NON étant normalement la “propriété” de Mute Records.
II fut précédé par Gilded by the Sun, le premier album de Fire And Ice, le groupe que venait de former Ian Read à son retour en Angleterre. Les chansons qui le composent sont bien évidemment proches de Sol Invictus (trop d’après Tony Wakeford).
Le 29 juin parut But What ends When The Symbol Shatter, une sortie simultanée en vinyl et en CD
Cet album était le fruit du travail de Pearce de Mars 89, date de publication de The Wall Of Sacrifice, à Avril 92. On y retrouve comme d’habitude Tibet, mais aussi ses deux autres musiciens de cène, Simon Norris et James Mannox, ainsi que Michael cashmore et Campbell Finley. Mais le nouvel arrivant dont l’apport fut prédominant est sans conteste Ken Thomas, l’ingénieur du son et co-producteur de ce disque.
Ken Thomas s’était signalé dans le milieu underground en produisant au début des années 80 les meilleurs groupes de Some Bizarre, Test Dept ou Psychic TV, mais il avait déjà un passé prestigieux pour avoir travaillé avec entre autres Roxy Music dans les années 70. L’ingénieur du son de Death In June étant parti aux Etats-Unis, Pearce pensa à Thomas, qu’il avait rencontré lors de la tournée en Autriche et en Allemagne en 1991, pour pallier cette défection.
De fait, sa présence aux manettes amène sans conteste l’album le plus mature et le plus réussi au nvieau du son. Là où la production était parfois trop légère, Thomas a tissé une toile de sons et donne une dimension nouvelle aux compositions de Pearce.
Toutes les expériences sont proscrites sur cet album. On ne voit pas la trace d’un nouveau Death of a man, seulement une collection de douze chansons pop dans la plus pure tradition anglaise.
« Pendant l’enregistrement du nouvel album , je voulais plus cultiver le feeling de Giddy Giddy Carousel ou FallA part. Je voulais plus aller dans cette direction, plutôt que dans la direction post-industriel/bruit ou quel que soit le nom que vous lui donniez . J’avais le snetiment d’en avoir terminé avec ces choses de The Wall Of Sacrifice » Douglas Pearce
Pour la première fois une musique n’est pas signée Pearce. The Giddy Edge Of Light est l’œuvre de Michael Cashmore, du groupe américain Nature & Oganisation, que Pearce a encore une fois rencontré grâce à David Tibet, car Cashmore était devenu le nouveau guitariste de Current 93, « le bureau central pour les gens de l’industriel » comme l’appelle Douglas Pearce.
« Il m’a dit qu’il avait eu un rêve dans lequel il m’entendait jouer cette chanson à la radio. Quand il s’est réveillé, il ne pouvait plus se souvenir des paroles mais il se rappelait de la musique, alors il en a fait une cassette, me l’a envoyé et c’est parti de là. » Douglas Pearce
A l’écoute de cette chanson, on peut en effet s’imaginer qu’elle aurait pu être écrite par Pearce, mais l’entendre à la radio semble difficile lorsque l’on vit le risque infime que prennent les programmateurs. Pourtant bon nombre de chansons présentes sur But What ends When The Symbol Shatter ? pourrait sans aucun doute plaire à un public plus large. SI ce genre de disques bénéficiait d’une meilleure couverture médiatique et si l’ostracisme qui frappe Death in June cessait d’être en vigueur, on jurerait presque que des amoureux de pop de qualité succomberaient aux charmes de The Mourner’s Bench ou Hollows of Devotion, deux titres où résonne la trompette de Campbell Finley.
« Quand tu écoutes des groupes de valeur, les éternels, les Beatles, le Velvet Underground, les Walker Bros, Scott walker en particulier, ils faisaient tous des jolies chansons en surface mais dans les paroles ils abordaient des choses beaucoup plus intéressantes » Douglas Pearce
Son public réclamant plus de précisions quant à ses paroles, son style poétique ayant infailliblement usé plusieurs dictionnaires bilingues de fans non-anglicistes, Pearce répondit a cette demande en imprimant en plus des textes anglais leurs traductions, parfois hésitantes, en allemand, en italien et en français. Dans l’ensemble, les sujets abordés et la forme employée sont pratiquement identiques, le ton est toujours aussi désabusé vis-à-vis du monde actuel, de la religion chrétienne entre autres.
On retrouve dans quelques chansons, comme à l’accoutumée, des référence aux rêves
« Mon travail a toujours été instinctif, et quand cela arrive, je suis littéralement grisé. C’est comme un rêve et une partie importante de mon travail m’a été littéralement dicté par mes rêves. Une réalité surréaliste. Un exercice et un exorcisme. Pas de profit sans douleur. Il n’y a rien de laid ou de haïssable – c’est ainsi ! » Douglas Pearce
Pour Douglas P., la raison majeure du peu d’engouement pour Death In June au Royaume-Uni était dû au fait que le groupe ne jouait pas assez souvent sur son sol natal :
« Les Britanniques ont l’habitude de voir leurs groupes, spécialement ceux qui n’ont pas de passages radio, comme nous-mêmes. Si tu ne joues pas constamment, tu deviens un des oubliés. Seulement les vrais fanatiques gardent le contact. » Douglas Pearce
Peut-être pour y remédier, Death In June se produisit deux nouvelles fois à Londres pendant l’été. Le 2 Juillet, en compagnie de Fire & ICe, le groupe que venait de former l’ex-Sol Invictus Ian Read, Douglas P se produisit devant 500 personnes au Powerhaus de Islington. Le concert fut introduit par Freya Aswinn et les spectateurs eurent la surprise de voir Rose Mc Dowall aux percussions, en remplacement de James Mannox. Ce fut en tous cas l’occasion de jouer d’anciennes chansons comme She Said Destroy ou Behind The Rose (fields of Rape), qui fut interrompue quelques instants après qu’un énergumène ait lancé un projectile au visage de Pearce, heureusement sans aucuns dommages.
Le second eut lieu le 21 Août, où Death in June fit une visite à la Charlton House .
Entre ces deux concerts, Douglas P intégra Current 93 le 30 Juillet au Walthamstow Royal Standard. Pour cette performance londonienne, la première depuis la sortie de Thunder Perfect Mind, Tibet avait sensiblement étoffé sa formation : on retrouvait les habituels Douglas P., James Mannox et Joolie Woods, mais aussi Rose Mc Dowall – de retour à Londres après avoir parcouru la planète – John balance, Karl Blake, Michael Cashmore et Nick Saloman. La guitare acoustique était désormais l’apanage de Cashmore, et Pearce jouait seulement de la guitare électrique et quelques percussions. Contrairement aux habitudes qui voulaient qu’un concert de Current 93 se termine par es titres de Death in June, douglas P. ne prit pas le micro lors des rappels.
Seulement accompagné par Simon Norris, Pearce prit la direction de l’Est, plus particulièrement celle de la croatie, un pays au centre de la guerre dans l’ex-Yougoslavie. Death in June était le premier groupe britannique à se produire dans le pays depuis le début du conflit. Un concert eu lieu au Jabuka Club de Zagreb le 8 octobre 92 avec Pearce à la guitare et Norris au clavier. Le lendemain, Death In June enregistra dans les studios de la Radio Nationale Croate cinq titres supplémentaires.
A la fin de ce mois, lors de la nuit d’Halloween, Pearce rejoignit Tibet à Amiens où Current 93 se produisait dans le cadre majestueux de L’Eglise Saint Germain. Comme trois ans plus tôt à Amiens, James Malindaine-Lafayette rejoignit le groupe pour jouer de la harpe, mais d’autres n’avaient pas quitté le Royaume-Uni : Joolie Woods, Balance, Blake et Saloman. Comme à Londres, il n’y eut aucune chanson de Death in june jouée ce soir-là.
« Je sens qu’un certain aspect de notre démarche commune est terminé, surtout depuis la parution de la compilation 1888 qui est un bon résumé de cette collaboration. Les dernières bandes que nous ayons enregsitrées ensemble datent de 1989. C’était à Tokyo et la plupart n’ont jamais été publiées. » Douglas Pearce
Le 11 Décembre, Pearce organisa une soirée NER avec Death in June et les deux groupes dont il allait prochainement sortir les albums : Fire & Ice et NON. Mais, à cause de manifestations de mouvements anti-fascistes qui duraient depuis plusieurs jours devant les portes du Grand – la salle londonienne où devait se dérouler les concerts – la soirée fut annulée.
« Des peaceniks, des gens qui aiment la paix, ont appelé et ont dit qu’ils allaient faire exploser la salle et faire des dommages corporels aux gens qui la dirigent et qui y travaillent si je jouais. Et leur licence devait justement être renouvelée, alors ils n’ont pas voulu appeler la police parce que cela porterait justement l’attention sur eux et ils pouvaient peut-être la perdre. » Boyd Rice
Mais, pour ne pas frustrer les nombreux amis présents et surtout pour que le voyage transatlantique de Boyd Ricz n’ait pas été vain, toute une équipe comprenant entre autres Wakeford, Balance, Christopherson, Tibet prit la direction du Happy Jack, un club sado-maso également connu sous le nom de The Torture Garden, où put se tenir une performance de NON. Pour l’occasion, se retrouvèrent sous le blason de NON Boyd Rice, Douglas P., Simon Norris et James Mannox qui jouèrent un concert martial d’une trentaine de minutes, au cours duquel lan Read vint interpréter un court morceau vocal, devant un parterre de cagoulés, de tatoués, d’adeptes du piercing, de travestis et autres fantômes portant des chaînes. Mais malheureusement, ce spectacle fut gâché par un son de mauvaise qualité, dans une salle certainement peu habituée à recevoir des concerts.
Le programme de fin d’année était encore chargé avec une courte tournée allemande. Les deux premières dates rentraient dans le cadre du Black Xmas Festival qui rassemblait divers formations gothiques, ce que l’on appelle aujourd’hui la Dark Wave.
Mais, ce 25 décembre à Hambourg, quelques membres de l’organisation et de groupes présents refusèrent d’être à la même affiche que ce qu’ils considéraient comme une bande de fascistes, à moins que Pearce n’accepte de signer ce qui aurait été appelé en d’autres temps une autocritique. Résultat : refus catégorique de Pearce et annulation des deux premiers concerts de la tournée.
Pour circonvenir à ce contretemps, Death In June joua trois fois à Bochum, les 26, 27 et 28 au lieu d’une unique date le 27. Le reste de l’escapade allemande se poursuivit normalement à Heuchelheim, Berlin et Leipzig le 31 décembre.
La nouvelle année débuta a Paris, où les 5 et 6 janvier, Current 93 et Death In June se produisirent devant des salles combles.
Le premier concert était celui du groupe de David Tibet avec une formation moins importante que lors de ses dernières sorties. Il n’y avait que Joolie Wood, Michael Cashmore, Douglas P. et James Mannox pour soutenir Tibet. Pour renouer avec la tradition, Pearce, engoncé dans un blouson qu’il gardera fermé et une chapka vissée sur la tête, joua avec Mannox et Tibet quelques morceaux de Death In June lors du rappel.
Le lendemain, c’était le tour de Death In June. Le groupe offrit au public un mélange d’anciens et de nouveaux titres pour un concert assez long. Malheureusement, le quatuor ne joua pas The Giddy Edge Of Light, la chanson co-écrite avec Michael Cashmore qui aurait pu se joindre à Death In June. Bien entendu, c’est Current 93 réduit au trio Pearce-Tibet-Mannox qui eut la chance de terminer la soirée. Tibet quitta la salle en souhaitant que « Dieu bénisse toutes les personnes présentes »
Le dernier spectacle de cette série, surprenante de la part de Death in June, eut lieu à Prague le 12 janvier.
Comme prévu, NER mit en vente deux disques, avec pour chacun une sortie simultanée en vinyl et en CD.
Le vinyl de The Cathedral of Tears est en fait un picture disc qui représente deux masques du style de ceux que porte Pdarce. Mais, il comporte sur les deux faces le même dessin, si bien qu’il n’y a pas de titres de chansons et aucune indication quant à leur provenance. Il faut alors se rabattre sur le CD à la pochette différente, qui indique que les deux versions de The Cathedral Of Tears, des versions acoustiques très différentes de celle de la compilation, ont été enregistrées avec l’aide de Graham Hawkes à l’orgue et que les trois morceaux live proviennent du rappel du concert de Current 93 du 5 janvier à Paris.
Le deuxième disque est un double album et un double CD regroupant les deux performances de Death ln June dans la capitale croate sous le nom de Something Is Coming.
« Je ne comprends pas le concept de l’engagement politique dans le monde dans lequel nous vivons maintenant, où tout a été mis sans dessus-dessous. Ce que nous vons vus se réaliser durant ces dernières années est fantastique. Mais la Yougoslavie, et d’autres pays qui baignent dans le sang… N’ont-ils rien appris dans les cinquantes dernières années ? Les politiques traditionelles n’ont conduit l’humanité nulle part. Toutes les politiques : communisme, fascisme, libéralisme, socialisme… La solution ne réside pas dans les convictions politiques actuelles. Nous vivons des temps violents. Je pense que la nature nous guidera plus que n’importe quoi d’autre » Douglas Pearce
Le concert radiodiffusé s’ouvre sur Giddy Giddy Carousel dont Pearce a changé une ligne
- “And Europa has burnt
- And burns again”
- (Giddy Giddy Carousel)
Avec cette réalisation, Death In June dévoile un nouveau visage, celui d’un groupe qui produit un disque dont tous les bénéfices seront reversés à une institution, la clinique Bolnicki de Zagreb, qui soigne essentiellement des blessés de guerre. Une photo prise par Pearce montre dans le livret quelques soldats souriants aux jambes amputées.
Quant à la musique présente, on est en droit d’être déçu. Se limitant au duo Pearce/Norris, Death In June manque singulièrement de rythme : sans batterie la musique est morne, sans relief, et de nombreux titres de But What Ends When The Symbols Shatter perdent de leur charme.
A la même période, un nouveau CD de Current 93 fut mis en vente. Il comprenait cinq titres enregistrés live à Amiens et Londres en 92 et à Paris en 93. Bien entendu, Pearce était présent sur tous ces longs morceaux, et surtout dans le livret où il apparaissait seul sur une des photos. Les chansons provenent d’Amiens et de Londres sont bien entendu, du fait que la formation soit plus importante, plus proches de Thunder Perfect Mind, plus psychédéliques que le superbe Imperium V tiré du concert parisien du 5 janvier.
La dernière production en date de DIJ est la réédition en CD de 93 Dead Sunwheels sous une forme identique, si ce n’est une nouvelle pochette avec un cliché inédit du trio de l’époque.
Après plusieurs mois passés à voyager, Douglas P. remit Death In June sur le chemin d’une tournée allemande en novembre : neuf dates furent établies. Du 23 novembre à Hambourg jusqu’au premier décembre à Leipzig, sans oublier une escapade dans la République Tchèque le 29 novembre, au Repree Club de Prague.
La principale surprise de cette tournée était l’absence de David Tibet. Seuls Norris et Mannox accompagnèrent Pearce pour ce voyage. Mais un invité-surprise fut recensé : Boyd Rice. Il interpréta quelques uns de ses titres a la fin des concerts de Death In June.
La guest star de ces quelques dates bénéficiait dans la même période d’un éclairage médiatique relativement important. On le vit par exemple en photo dans les Inrockuptible –où l’on apprend qu’il est « un Death In June qui s’en est sorti ». La raison en était la sortie de Seasons In The Sun, le premier album de Spell, le duo comprenant Rose McDowall et Rice. Rose McDowall réalisait ainsi son deuxième CD de l’année après celui de Sorrow, Under The Yew Possessed, un autre duo qu’elle formait avec Robert Lee, le producteur de Spell.
En ce qui concerne les concerts de Death In June à proprement parler, ils étaient dans la lignée des précédents mais avec des chansons inédites avant pour titres My Black Diary, Symbols of the Sun et Rose Clouds of Holocaust
Le premier spectacle de 1994 se déroula dans un pays que Death In June n’avait encore jamais visité : la Belgique. Cette fois ci sans Rice, Pearce et ses musiciens jouèrent à Bruges le 11 février, dans la droite lignée des concerts allemands de novembre.
Tenter de résumer un groupe si volontairement impénètrable, abscons et absent des médias semble impossible. Le travail fes critiques dans le monde élu rock se limite bien souvent à tenter de trouver fes artistes équivalents, des personnes créant une musique similaire ou traitant de sujets analogues. On peut bien évidemment dénicher des disques où la musique rappellera celle de Death In June, d’autres où les textes auront des rimes identiques à celles qu’utilise Douglas P., mais jamais une telle association ne vit le jour avant que Death in June n’ouvre la voie.
« Death in June est plus un état d’esprit qu’un groupe. C’est autant une expérience culturelle que musicale. Death in June est une vue du monde conçue par un homme – Douglas Pearce. Et parce que cette vue, et la musique qui l’accompagne, est si difficile à cerner, surtout mal interprétée, n’importe quel fan de Death In June doit par nécessité être un fanatique. Ce n’est pas par hasard, mais à dessein. » Robert Ward, The Fifth Path
Depuis, Death In June est sans nul doute devenu un groupe séminal, à son échelle certes, mais cette conclusion était inéluctable. Le mystère dans lequel sont enveloppées les productions et l’odeur de soufre qui flotte autour des apparitions de Death In June ne pouvaient laisser indifférente une frange ténue du public, déçue par le paysage musical de cette fin de siècle. La musique de Death In June est celle de gens qui auraient désiré aimer leur époque mais qui se sont heurtés à une société sans grands idéaux, sans volonté de réveil. Le monde occidental a perdu sa loi dans les valeurs sacrées et ses traditions, notre siècle montre la fin du symbolisme, du sens du sacré.
Certains voudraient que la vision romantique de Death In June trouve son issue dans les politiques d’extrême-droite. Bien évidemment, l’utilisation d’artifices nazis fut l’apanage de Death In June des débuts, pourtant la vérité est toute autre.
« Quand nous nous sommes formés nous examinions le fascisme. C’est intéressant de voir ce que cette idéologie impure qui est devenue si puissante avait à dire au début. » Douglas Pearce
De là naquit cette obsession pour les SA et l’épisode sanglant de la Nuit Des Longs Couteaux. Pearce avoua qu’un phénomène d’identification survint alors. Les SA furent éliminés parce qu’ils représentaient la tendance socialiste du national-socialisme. Ils étaients considérés par Hitler comme des homosexuels et ne méritaient donc autre procès que celui du 30 juin 1934.
Les raisons de cette identification sont toutefois obscures, l’européanisme de Death In June les poussa à apprécier les visées allemandes pour une Europe unifiée sur des bases culturelles plus qu’économiqueses. Une chanson comme We Drive East en est un exemple probant. L’accusation d’homosexualité de Hitler vis-à-vis des SA toucha une corde sensible chez Pearce qui affichait ses préférences dès l’époque de Crisis, ainsi que le sentiment de trahison. En fait, de nombreux points entrèrent en compte dans cet étrange phénomène, certainement trop nombreux pour être analysés succinctement.
Il était donc intéressant de savoir ce que Pearce aurait pu devenir s’il avait grandi dans l’Allemagne nazie :
« C’est une question à laquelle il est impossible de répondre car nous avons l’avantage non négligeable du recul. Peut-être aurais-je été pris dans une foi totale et un mysticisme complet de cette nouvelle ère, peut-être aurais-je vu le déclin s’établir dès Juin 34 et après, ou peut-être aurais-je vu que le meilleur endroit pour se cacher de la décadence était dans la pourriture même, etje m’embarquerais sur un chemin d’auto-destruction nihiliste. » Douglas Pearce
La notion de provocation ne doit pas être placée sous silence. Les membres de Death in June n’ont pas été les premiers à jouer avec le spectre du fascisme et ne seront certainement pas les derniers. Par le biais de quelques déclarations, ayant sans aucun doute pour la plupart un but bien précis, ils jettèrent parfois de l’huile sur leur propre feu :
« La personne la plus importante de ce siècle est sans aucun doute Adolf Hitler. Il a façonné le monde dans lequel nous vivons, un monde de haine et de destruction. Nous sommes tous ses enfants. La seule question est comment coordonner notre famille ??? » Douglas Pearce
La presse a de tous temps reproché à Death in June le port d’uniformes, une certaine apparence militaire et nationale-socialiste. Bien sûr le choix de ces vetements, de ces coupes de cheveux réglementaires était aussi l’apanage de groupes anarcho-punks tels que Crass, mais les textes de ces derniers ne laissaient planer aucune ambiguïté, au contraire de Death in June. Si le message de Crisis était clair, celui de Death in June ne l’a, malheureusement pour les journalistes, jamais été.
A la décharge de ces derniers, on peut tout de même comprendre leur attitude : Death in June utilise des images de soldats, le Horst Wessel Lied, des roulements de tambour, les membres ont osuvent porté des uniformes ou des treillis et rien dans les paroles ne montre explicitement leur hostilité envers ceux à qui ils ont emprunté tous ces symboles. A première vue, les soupçons sont justifiables mais la justice veut que toute personne soit présumée innocente tant que la preuve de sa culpabilité n’ait été apportée. Cette presse musicale qui se veut parfois « à sensation »n’a que trop rarement tenté de gratter le vernis pour voir ce qui se cachait réellement sous cette imagerie ? Le mal était fait : Death in June, malgré les dénégations de Pearcen resterait à jamais un groupe néo-nazi.
« Les idées de DIJ n’ont jamais été clairement définies, donc je pense que les gens doivent avoir du al à nous coincer. C’est le monstre polycéphale de mes obsessions. Nous ne sommes pas exempts de soupçons. » Douglas Pearce
« Si quelqu’un me dit Douglas Pearce est un fasciste, je lui demande ‘tu le connais, tu lui a déjà parlé ?’. Je connais Douglas depuis dix ans et je ne pense pas qu’il soit fasciste. Pour moi il ne l’est pas. S’il l’était je ne jouerais pas avec lui ! Je ne joue pas avec des fascistes, je ne joue pas avec des communistes. » David Tibet
Justement, ces mêmes néo-nazis, désespérant de voir un formation partageant leurs idéaux ayant accès aux médias, se jetèrent sur Death In June. Leur présence n’arrangea évidemment rien à la réputation du groupe.
« L’humanité est un zoo alors ils ne devraient pas être si influençables parce qu’ils ne survivront pas » déclara Pearce à propos de ces derniers. Death In June n’a en aucun cas une parole à délivrer à ces nostalgiques des dictatures. La principale raison du port de tenues militaires tient dans le fétichisme de Pearce.
S’il n’a pas encore réussi à lui faire endosser un T-shirt de oui Oui, Tibet, tient tout de même un rôle primordial dans la carrière de Douglas Pearce. Sur le plan des musiques et des textes, son influence se ressentit dans leur première collaboration, The Torture garden, où l’ambiance mysitique rappelle Current 93. Ensuite dans certains morceaux se rapprochant de la folk, la présence d’un inconditionnel du Incredible String Band est indéniable. Tibet, grâce à sa personnalité éxubérante, réussit également à faire sortir de temps en temps Pearce de sa tannière où il pouvait reser enfermé pendant plus d’un mois. Il lui fit rencontrer entre autres Boyd Rice, John Balance, Rose Mc Dowall ou Michael Cashmore, mais aussi lui présenta la magie, le mystère des runes ou encore certaines œuvres littéraires.
L’enfer ce ne sont pas les autres, mais ceux qui ressentent le besoin d’être esclaves. La perte de la dignité est sans aucun doute la tare la plus honteuse. Pearce expliqua bien que la séparation de Crisis était due au fait que les autres refusèrent de prendre leurs responsabilités, d’agir par eux-mêmes.
Dans cette optique, la séparation des trois membres originaux pour suivre chacun leur propre voie était inéluctable, l’individualisme de ces trois personnes devait les forcer un jour ou l’autre à être les seuls maîtres à bord. Leàgas a toujours été le seul compositeur de Sixth Comm et dirige Mother Destruction en famille avec sa femme, Wakeford s’entoure d’un groupe mais la formation n’est jamais fixe, Pearce est quant à lui aidé par divers musiciens. Cet individualisme est celui que décrivait Camus, « négation de tout ce qui nie l’individu et glorification de ce qui l’exalte et le glorifie », ils suivent tous leurs voies et tentent de vivre leur vie, ce n’est pas par volonté d’être exposés ou plus reconnus qu’ils ont décidé de tenir seuls la barre du navire, mais parce qu’il est plus évident d’exprimer ses émotions par soi-même, en dehors du cadre restrictif du groupe et de ses concessions. Une expression identique revient dans les bouches de chacun : leur groupe est leur moyen d’exprimer, ou peut-être d’exorciser, leurs obsessions.
Pearce déclare souvent que « Death in June n’est pas mon art, c’est mon travail, mon amour et ma vie ». C’est aussi une forme de résistance vis-à-vis de cette société où « aspirer à quelque chose de supéreur qu’être un porc habillé est au dessus de la majorité. Les plus abjects et les plus ordinaires surpassent désormais en nombre l’humanité réelle. Nous sommes en train de devenir une chose du passé ». Ce mépris de l’engeance, de la bassesse est récurrent dans les textes de Wakeford ou à un autre degré chez leur ami commun Boyd Rice.
« Tout homme devient son propre geôlier, c’est là une contrainte sociale fondamentale même s’il est vrai que chacun peut aimer sa cellule » écrivit Goffman. Douglas Pearce n’a jamais souhaité se contenter d’une petite cellule bourgeoise. L’ambition est toute autre. On pourrait même ajouter qu’elle est grande : réussir à vivre de la façon dont il l’entend.
Death in June ne prête pas à sourire car il est le souffle brûlant d’un homme, le cri d’un naufragé. « Chacun doit faire attention à ce qu’il fait de sa vie puisqu’à la fin on doit mourir, mieux vaut être satisfait de ce qu’on a accompli, sinon quel gâchis » affirma Douglas Pearce en 1984. Cette succession de disques peut en tous cas le satisfaire, Death In June connaît aujourd’hui une réussite probante que seule l’attitude négative des mass-média et de certains groupes de pression circonscrivent à un groupe d’initiés. A l’heure actuelle, les projets de Pearce sont concentrés sur un nouvel opus de Boyd Rice & Friends, et sur un prochain disque intitulés Rose Clouds of Holocaust. Pour Pearce, « la seule chose qui pourrait remplacer Death in June dans ma vie serait un amour, aussi dévorant »
« L’amour est la seule chose pour laquelle il faille vivre ET mourir. Et où est-il maintenant ? » Douglas Pearce